«Constantine vivait loin du monde, à l'écart des autres continents. Bien plus qu'une capitale stratégique, elle était devenue une sorte d'entité. Plus que jamais une île sur un océan de cauchemars. Mais une île qui ne serait pas à l'abri des tempêtes.» Malek Haddad Il y a plus de trente ans, la place du 1er Novembre, ex-La Brèche, a été débarrassée de la totalité de ses arbres. On a jugé utile à l'époque de creuser des passages souterrains pour les piétons. Des lieux transformés en bazars que les piétons boudent, sauf à l'approche des fêtes de l'Aïd. Sur cette place-carrefour de la ville, des cambistes sont postés à longueur de journée, avec des liasses de billets de banque entre les mains. Ils ne se lassent pas d'aborder les passants en quête d'éventuels clients. Avec le temps, un marché de devises s'est installé. A partir de la place de La Brèche, la rue Hanoune Rachid (ex-Massenet), située entre la bâtisse du théâtre et le siège de la BNA est l'un des accès vers la fameuse place de Rahbet Ledjmal, ex-place des Chameaux, devenue par la suite la place Benhamadi Mohamed Ameziane. Une artère qui ne désemplit guère. D'interminables processions de badauds, ou de gens à la recherche de bonnes affaires, défilent à travers les minces passages laissés par des silhouettes de tous les gabarits. Des dizaines de vendeurs de téléphones portables qui mènent un quotidien monotone et sans relief. Les mordus de cette technologie de la «tchatche» et les curieux y ont fait leur mecque, où règne un foisonnement indescriptible. Sur les trottoirs bordant une chaussée en pavé, creusée, défaite, puis refaite et retapée par endroits, le moindre petit espace est un coin précieux pour faire du commerce. On s'assoit devant un étal qui peut être minuscule ou large. On prend soin de poser ses modèles. Les négociations vont bon train. Parmi ces centaines d'étals, on peut tout trouver, depuis les objets d'occasion jusqu'aux inventions dernier cri, en passant par tous les types d'accessoires. Un lieu mythique au cœur de la ville Juste à droite de la rue Hanoune Rachid, la bâtisse du théâtre occupe une bonne place dans ce lieu mythique au cœur du centre-ville de Constantine. Sur l'emplacement de l'ancienne caserne des janissaires et du magasin d'orge de la cité beylicale, une merveille architecturale, œuvre du Parisien Paul Gion, c'est l'opéra de la ville. Il a été réalisé en six ans, de 1877 à 1883. Un délai qu'il est difficile d'égaler de nos jours, même si 30 ans sont passées entre l'idée et sa réalisation. Un somptueux opéra, réalisé face à une grande place bien aménagée et très mouvementée. Il abritera durant des décennies les spectacles organisés pour distraire les nouveaux arrivants d'outre-Méditerranée, dont l'afflux sera croissant. Se trouvant juste derrière l'opéra, la place des Chameaux était décrite par certains voyageurs qui ont visité la ville durant les premières années de la conquête française, comme un lieu plus spacieux, avec des échoppes où l'on vendait toutes sortes de marchandises et un grand marché de fruits et légumes, qui se prolongeait jusqu'à la place Vallée. Celle-ci abritera le fameux square qui porte le même nom, fréquenté uniquement par les Européens, appelé par les autochtones «Djenane El Mercantia» (jardin des bourgeois), par opposition à «Djenane Ezzaoualia» (jardin des pauvres) réservé aux «indigènes», qui était en face, de l'autre côté de la place. La bâtisse la plus imposante de cet endroit est sans doute ce qui était le grand caravansérail qui se dresse aujourd'hui avec ses deux étages, sa toiture en tuiles et sa façade ornée de colonnes en bois qui épousent de jolis arcs. Avec ses deux accès, l'un se trouvant juste en face de la rue des Frères Ahssane (ex-Hackett) et l'autre du côté du prolongement de la même rue qui descend vers Bab El Djabia, le grand caravansérail, plus connu de nos jours sous le nom de «Fondouk Beni Abbès», était le lieu de rencontres des caravanes venant du Sud par la route de Batna chargées de dattes, de tapis, de laine, de cuir et d'étoffes, d'autres apportaient de la marchandise des régions des Aurès et de la Kabylie. Dans ce bâtiment carré, une cour entourée de locaux avec de nombreuses pièces dans les étages, les commerçants louaient des entrepôts pour stocker leurs marchandises, mais aussi des chambres pour passer la nuit. Un espace réduit par les extensions La construction de nouveaux immeubles de style colonial derrière la bâtisse de l'opéra réduira l'étendue de la place des Chameaux. Il y aura aussi une extension du grand fondouk à partir de 1904. Un autre petit fondouk, connu de nos jours sous le nom de «Aouidet» est venu se greffer à l'ancienne bâtisse, sur l'actuelle rue des Frères Barrama. Un kiosque à tabac, qui existe encore de nos jours, fera aussi son apparition. Certains chroniqueurs de l'époque évoquent même l'existence d'un local au bas de la place, qui fut exploité en 1853 par la société archéologique de Constantine, créée au lendemain de la prise de Constantine en 1837, comme lieu de sauvegarde de la collection de pièces et objets trouvés lors des fouilles menées dans certains sites de l'antique Cirta. De l'autre côté de la BNA, dont l'immeuble abritait autrefois la Halle aux grains puis le Crédit foncier, la rue des Frères Ahssane (ex-Hackett) qui forme le deuxième accès vers Rahbet Ledjmal, se termine tout juste devant le portail de la mosquée Abderrahmane El Karaoui et Omar El Ouazane, construite au VIIIe siècle de l'Hégire, puis rénovée en 1968. Un lieu de culte dont le minaret sera à peine visible de la place de la Brèche, après la construction de nouveaux immeubles suite à l'ouverture en 1865 de la rue Nationale, communément appelée de nos jours «Trik Djedida» (aujourd'hui Larbi Ben M'hidi). Une artère tracée après la destruction de centaines de maisons, de mosquées, de zaouïas et d'autres vestiges, avec pour principal but de séparer le quartier européen de celui habité par les autochtones. Une époque qui marque la fin de celle du bon vieux temps des caravansérails. Dans son livre Constantine- Voyages et séjours, édité à Paris en 1880, Louis Régis notera : «Depuis que la rue Nationale est tracée, les chameaux ne sont plus admis à pénétrer dans la ville. Il n'y a pas longtemps encore une simple ruelle tortueuse et inégale traversait Constantine dans toute sa longueur d'une porte à l'autre et les caravanes, en suivant ce chemin unique, causaient, par leur nombre, des encombrements inextricables. Il est vrai de dire qu'à cette époque il n'y avait ni la station de chemin de fer, ni les nombreuses voitures particulières, ni les omnibus de toute forme qui descendent, à présent, la rue avec rapidité.»