-Certaines études ont montré que pendant le Ramadhan la baisse de productivité peut dépasser les 70% dans certains secteurs. Peut-on imputer cela au Ramadhan quant on sait que la productivité en Algérie est d'ores et déjà très faible en dehors de ce mois ? La faible productivité en Algérie est un phénomène ancien et généralisé, notamment dans l'administration et le secteur public. Il est le résultat du caractère rentier de l'économie et de la nature autoritaire du pouvoir qui contrôle la distribution de cette rente sur des critères discrétionnaires sans rapport avec la rationalité économique. La discipline sur les lieux de travail est le produit du rapport salarial qui, à travers la configuration des relations capital/travail, commande la formation des salaires et de la productivité. Or, en Algérie ce rapport est vicié par le populisme qui, pour des raisons historiques, est au cœur de l'idéologie étatique. Résultats, un relâchement généralisé de la discipline sur les lieux de travail en contrepartie du contrôle politique de la société. Pendant le Ramadhan, le phénomène s'aggrave. Qui de nous n'a pas constaté que la plupart des fonctionnaires arrivent vers 10 heures et quittent les lieux de travail vers 14 heures ? Pour l'anecdote, une femme travaillant dans une administration, expliquait froidement à un citoyen qu'elle ne pouvait pas le recevoir car elle doit sortir avant l'heure pour préparer le repas de Ramadhan. Le comble est qu'elle a reçu le soutien et de ses collèges et des autres citoyens car la pauvre, «meskina» est seule à la maison !!! Ce phénomène est observable aussi chaque vendredi dans les entreprises dont l'activité impose de fonctionner le week-end. Un ami m'informait que des agents de sécurité laissaient patienter des clients plusieurs heures car ils faisaient leur prière dans la mosquée d'à côté. Et si vous protestez, vous risquez le qualificatif d'impie. Rappelons-nous des arguments avancés lors du «débat» sur le changement de l'ancien week–end ? On a entendu des pseudo-religieux nous sortir des «fatwa» interdisant le travail le vendredi, le comble est que l'Etat a cédé et on se retrouve avec ce week-end bizarroïde et insensé du point de vue économique. Autre exemple, à Béjaia, il y a quelques jours, on ne sait pas encore qui s'est permis d'investir des espaces publicitaires destinés aux entreprises, en plaçant des panneaux géants dénonçant les buveurs d'alcool et invitant à la prière, un prosélytisme ostensible que ni la nature théoriquement républicaine de l'Etat ni la réglementation en vigueur ne devraient permettre. En résumé, il semble, notamment depuis le printemps arabe, que les décideurs tentent la stratégie suivante : à nous l'Etat et ses richesses, aux islamistes le contrôle idéologique de la société, aux jeunes des crédits non remboursables et aux autres catégories le «laisser-faire, laisser-aller», en tout cas la rente est là pour couvrir les frais. Pour conclure, il y a lieu de rappeler que, contrairement à ce que veut faire croire l'économisme populiste, la création de richesses n'est pas un résultat d'une combinaison mécanique des facteurs de production. La reproduction matérielle repose sur des présupposés politiques qui sont autant de conditions formelles pour le fonctionnement du procès de travail créateur de richesses, car l'activité économique ne relie pas des agents inertes, mais regroupe des réseaux hiérarchisés composés de sujets indépendants entretenant des relations inégales, donc d'influence et de domination. Dans cette perspective, un régime d'accumulation viable suppose une combinaison institutionnelle fondée sur la rationalité économique, ce qui implique l'autonomisation du champ économique des autres sphères notamment politique et religieuse, contrairement au populisme qui repose sur la négation du conflit et œuvre pour le statu quo qui, dans un environnement de compétition mondiale, approfondit le sous-développement et exacerbe les contradictions sociales. -Ce constat ne traduit-il pas un état d'esprit plus général qui est la disparition de la notion de travail comme valeur ? La perte de la notion de travail comme valeur n'est pas un trait culturel propre à la société algérienne. C'est le résultat de la nature rentière de son économie. Le renversement de l'échelle des valeurs en défaveur du travail productif a pour origine la distribution de la rente sur des critères politiques pour créer une assise sociale à base clientéliste. Ce phénomène provoque des effets pervers dont les seuls perdants sont ceux qui travaillent réellement. Au niveau économique, l'injection de la monnaie sans contrepartie productive provoque l'inflation. Outre qu'elle déséquilibre le système de prix et l'affectation optimale des ressources, l'inflation érode le pouvoir d'achat des revenus fixes, réduit la demande effective et la propension à l'épargne. A la baisse de leur salaire réel, les travailleurs revendiquent l'augmentation de leur salaire nominal, ce qui entraîne la réduction des profits. Par ailleurs, la diminution de l'épargne renchérit l'investissement et fait dépendre l'économie des investissements publics, ce qui n'est pas sans répercussion sur l'emploi et les salaires. Un cercle vicieux qui s'auto-alimente, entraînant la dévalorisation de la valeur du travail et la généralisation des comportements rentiers à tous les niveaux de la vie sociale. Sur le plan sociopolitique, la rente permet au régime politique de s'autonomiser de la société, ce qui lui offre la possibilité d'exercer un rapport de domination sur ses membres, empêchant ainsi la formation d'espaces autonomes susceptibles de donner naissance à une société économique se reproduisant par le travail. De ce fait, la rente provoque des recompositions profondes en faveur des couches sociales oisives et prédatrices. Ainsi, nous assistons à l'émergence d'un processus accéléré de transformation du pouvoir politique en actifs de marché. L'Etat se trouve, dans ce cas, pris d'assaut par de vastes réseaux de clientèles dont l'accumulation a pour base l'enrichissement illégal mêlant corruption, pratiques frauduleuses et développement du marché informel. -La consommation pendant le Ramadhan atteint des sommets. Est-ce le signe d'un pouvoir d'achat en hausse ou le reflet d'un modèle de consommation débridé et irrationnel ? Le pouvoir d'achat n'est pas en hausse pendant le Ramadhan, au contraire, il baisse par l'augmentation généralisée des prix. A moins que les consommateurs anticipent cette inflation et consacrent un budget «spécial Ramadhan». Mais ceci n'explique pas tout car nous assistons à des gaspillages énormes. Les gens achètent plus que ce dont ils ont besoin et préparent plusieurs plats qu'ils ne peuvent manger en un seul repas... Bref, Je pense que la surconsommation pendant le Ramadhan ne peut s'expliquer sur le plan économique, elle relève plutôt de la psychologie des jeûneurs qui, peut-être sous l'effet de la faim et de la soif, perdent la notion de rationalité et la maîtrise de soi. En tout cas, il faut des études de terrain approfondies pour une réponse objective à cette question.