L'âge d'or du clubbing est fini. Aujourd'hui, les patrons de discothèques algéroises n'ont plus les moyens de se payer des David Guetta ou des Martin Solveig. Alors pourquoi les soirées animées par des Dj étrangers explosent-elles ? Plongée au cœur d'un business lucratif. DJ Ophelie Mercury et Louis Corleone au Pacha Club, Dj S Nasty au Crystal Lounge pour animer le bal de promo des étudiants, Gonzalo Menoyo à la piscine de l'hôtel Al Djazaïr… Toutes les semaines, des soirées sont organisées par de DJ guests, mais aussi par des inconnus dont la seule carte de visite est d'avoir mixé dans une sombre discothèque à Ibiza ou à Barcelone, deux capitales mondiales de la fête, passage obligé pour tout DJ qui veut se faire un nom. «Il ne faut pas se tromper, résume le responsable d'une boîte d'événementiel. Le phénomène des soirées avec Dj étranger s'est amplifié en Algérie, mais pas dans le bon sens. Aujourd'hui, le plus souvent, les organisateurs font appel à des DJ inconnus pour attirer du monde.» Car aucune discothèque n'est, en 2013, en mesure de payer les cachets que réclament les stars des platines. S'offrir les services d'un David Guetta ou d'un Martin Solveig, deux des plus grands DJ de la planète, venus animer des soirées en 2008 et en 2010 à Alger, est aujourd'hui impossible. «A l'époque, Guetta avait touché 60 000 euros pour venir. Il était déjà connu mais pas autant qu'aujourd'hui, résume le patron d'une société. Maintenant, pour le faire signer, il faut débourser 156 000 euros et le programmer pour l'année d'après, tellement il est hyperbooké.» Plus embêtant, l'investissement dans la venue d'un Dj star n'est pas une assurance contre un échec financier. De nombreuses discothèques et sociétés d'événementiels se sont cassées les dents en faisant venir de grands noms de la scène techno, très pointus mais qui n'ont attiré personne. Miami L'exemple le plus célèbre reste la venue de la superstar des platines, DJ Tiesto. Le Dj hollandais le mieux payé au monde (il aurait gagné 58 millions d'euros l'année dernière) avait été boudé lors de son passage à Alger, car les clubbers nourris aux clips ne trouvaient pas sa musique assez dansante. «En Algérie, très peu de clubbers ont une culture musicale, juge un DJ local. Ils ne veulent écouter que de la musique commerciale, qu'ils ont l'habitude d'entendre sur M6 ou MTV. Les jeunes qui viennent en boîte sont absolument réfractaires à la musique underground.» Conséquence : les directeurs artistiques des discothèques se rabattent sur de jeunes DJ étrangers aux noms exotiques et sans trop d'expérience qui acceptent de venir se produire à Alger pour 500 euros. «Un Dj sans notoriété est une bonne affaire, note le patron d'une boîte de la capitale. Il ne coûte pas cher et il programme les titres qu'on lui demande de passer. Les Algériens viennent en boîte pour boire, danser et draguer. Ils sont complètement insensibles à la musique underground que mixent certaines grandes stars du techno.» Et quand ce n'est pas une question d'argent, le DJ star rechigne à venir se produire à Alger. La capitale algérienne ne figure pas parmi les destinations incontournables qui font les réputations des DJ et ne peut rivaliser avec Miami, Ibiza ou Barcelone, ni même avec Marrakech. «Il est clair que pour les DJ les plus demandés, Alger n'existe pas, résume un DJ résident dans un grand hôtel. Contrairement au Maroc où il y a beaucoup de touristes, certaines vedettes considèrent que venir mixer à Alger peut être dévalorisant.» La situation sécuritaire, dramatisée de l'autre côté de la Méditerranée, joue aussi en notre défaveur. Un responsable d'une discothèque de la capitale en a fait la triste expérience. «En 2011, j'avais signé un contrat avec Taboo, le chanteur du groupe Black Eyed Peas, pour qu'il vienne se produire à Alger. Mais à la dernière minute, il a annulé sa venue parce qu'il s'était renseigné sur l'Algérie et avait appris que des émeutes avaient éclaté.» Face à l'explosion des cachets et des réticences des artistes étrangers à venir se produire en Algérie, les patrons des discothèques courent les sponsors pour constituer des budgets conséquents. Le monde de la nuit intéresse surtout les marques de boissons alcoolisées et les cigarettiers, interdits de publicité, qui contournent les restrictions en sponsorisant des soirées privées. «Les sponsors sont aujourd'hui indispensables pour pouvoir s'offrir de bons DJ, reconnaît un responsable marketing d'une marque de bière. On n'accepte d'apposer notre marque lors d'une soirée que si nous validons le nom du DJ ou alors s'il s'agit d'un DJ que nous avons choisi.» Pas de cadeau Cet apport financier permet aux discothèques de programmer des DJ à la notoriété naissante et dont les cachets tournent autour de 10 000 euros. Car si par le passé, seulement quatre discothèques se partageaient l'organisation des fêtes à Alger -Le Pacha à l'hôtel El Djazaïr, le Triangle à Riad El Feth, le Crystal Lounge au Hilton et le Casif à Sidi Fredj- depuis 2010, de nouvelles boîtes ont vu le jour. Aujourd'hui, les clubbers peuvent s'éclater sur les pistes de danse du Star Studio du Sheraton ou encore au Nouba club d'El Aurassi et depuis peu à la discothèque Oscar de l'hôtel Oasis, un cinq étoiles qui vient d'ouvrir à Hussein Dey. Oran, avec l'Atmosphère Club du Sheraton et le Sun House, la boîte du Hayden Palace, ne pouvait échapper à la règle. «L'ouverture de nouvelles discothèques a changé la donne, reconnaît Sid Ahmed, un jeune DJ. Elle a obligé les responsables des nouvelles boîtes à ramener des DJ confirmés pour attirer le plus grand nombre de fêtards. Dans le milieu, une maxime dit que les meilleures programmations assurent les meilleures soirées.» D'autant que pour les patrons de boîte, il est vital de pouvoir se payer un Dj étranger qui permette de capter la communauté des fêtards. Entre les discothèques, on se surveille, et les coups bas font partie du business. Dans le milieu, on n'hésite pas à s'attaquer à la concurrence pour tenter de salir la réputation d'une discothèque ou d'une société d'événementiels. Il est arrivé que des Dj de renom, ayant donné leur accord pour un concert, se décommandent à la dernière minute, après que leurs agents aient reçu des mails qui leurs déconseillent de se produire à Alger. «C'est une bataille, reconnaît le patron d'une des boîtes les plus courues d'Alger. Entre les discothèques, on ne se fait pas de cadeau et on se bat pour avoir le plus grand nombre d'entrées.»