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Un fossé d'incompréhension
La politique extérieure des Etats-unis d'Amérique
Publié dans El Watan le 10 - 05 - 2006

Et si les Etats-Unis restaient traumatisés par les attentats de New York pour de longues années ? L'Amérique de George W. Bush et de Condoleezza Rice se sent visiblement à l'aise dans son costume de gendarme du monde et de donneuse de leçons. Après cinq années de tumultes, de monstrueuses guerres et des centaines de milliers de morts, l'Amérique se dit encore protectrice des libertés, et le pire, c'est qu'elle y croit, ou du moins en donne-t-elle l'impression...
Devant les 130 journalistes venus des quatre coins du monde pour prendre part au programme de leadership Edward R. Murrow, la secrétaire d'Etat américaine, Mme Condoleezza Rice, a résumé, en quelques mots, toutes les contradictions de la politique étrangère des Etats-Unis et peut-être même les siennes. « Nos interventions militaires visent à mettre fin aux attentats perpétrés contre des innocents. Les évènements du 11 septembre ont mobilisé les Etats-Unis avec toutes les ressources possibles et imaginables. Le fait qu'il y ait aujourd'hui plus de conflits, c'est justement parce que nous sommes en train de combattre une menace auparavant pernicieuse », a-t-elle asséné. Au pays de Condi, le monde est divisé en deux parties : les bons d'un côté, et les méchants de l'autre. Ce discours manichéen à la lisière du western, les journalistes étrangers l'ont entendu tout au long de leur séjour aux States. Au cours des conférences tenues avec des hauts responsables américains, l'on ne pouvait compter le nombre d'altercations verbales qui ont eu lieu avec le groupe arabe (dans lequel le journal El Watan était représenté). Entre les responsables américains et les représentants des médias arabes, il n'y a qu'un grand fossé d'incompréhensions. En fait, même des Américains - y compris des officiers de l'armée américaine présents en Irak - nous ont confié ne rien comprendre à la politique étrangère de leur pays. Seule Condoleezza Rice et son patron semblent convaincus du bien-fondé de leur politique.
Les intellectuels iraniens invités aux USA
Devant les questions incisives des journalistes étrangers, elle avait l'œil noir, le ton tranchant, le temps de réponse, calibré. A une question relative à la situation en Iran, le Dr Rice a franchi un pas supplémentaire dans la guerre psychologique qu'elle livre au gouvernement d'Ahmadinejad. Après avoir consacré des crédits budgétaires pour mettre en place des réseaux de soutien aux réformateurs iraniens, aux dissidents politiques et aux militants œuvrant en faveur du respect des droits de l'homme, elle a appelé, au cours de la conférence avec les journalistes internationaux, les hommes de lettres, musiciens et intellectuels iraniens à déserter leur pays. La guerre psychologique est ouverte. Si, de nos pays arabes, nous n'arrivons pas à comprendre la raison pour laquelle le nucléaire iranien est considéré comme une arme terroriste tandis que le nucléaire israélien est regardé comme une arme de paix, la réponse des responsables américains questionnés sur le sujet est toute faite : « But, s'offusquent-ils, Israel is a democracy ! » A la question de savoir s'il y a encore des dictatures dans le Maghreb et dans le monde arabe que les Etats-Unis aimeraient voir tomber, la secrétaire d'Etat américaine s'en est sortie par une pirouette : « Les Etats-Unis encouragent les régimes démocratiques. Il y a actuellement un mouvement positif au Liban, nous avons encouragé des réformes au Maroc et en Jordanie. Il y eut des déceptions lors des élections législatives en Egypte. Mais il faut dire que tous ces pays ne sont pas sur le même point de départ. » Et elle ajoute : « Il y a des gouvernements autoritaires qui doivent changer. Les gouvernements doivent respecter leurs peuples mais on sait que cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. » Paradoxalement, même si la secrétaire d'Etat reconnaît que les élections palestiniennes étaient des plus démocratiques, elle jure de ne plus jamais verser un dollar à l'Autorité palestinienne tant que le Hamas restera au pouvoir. « Le Hamas doit d'abord trouver un moyen de faire la paix avec le reste du monde. Nous continuerons de financer les aides humanitaires aux Palestiniens, mais en aucun cas, nous ne verserons de l'argent à l'autorité palestinienne tant que le Hamas n'aura pas reconnu l'Etat d'Israël. Certes, les élections palestiniennes étaient démocratiques, mais il n'est pas possible d'avoir un processus de paix sans accepter la feuille de route », assure Mme Rice. Même si Condi Rice n'a pas bâti sa carrière et sa célébrité mondiale sur des effusions de tendresse (en dépit du fait que son prénom s'inspire du Con dolcezza - qui signifie « avec douceur » - inscrit en marge des partitions de musique classique), elle a tout de même tenu à clore son intervention médiatique sur une bonne note. « Il faut arrêter de dire que les Etats-Unis préfèrent la méthode militaire à la manière diplomatique. Nous avons battu tous les records d'aides humanitaires à l'Afrique et à l'Amérique du Sud. Cela démontre notre volonté de réduire la pauvreté partout », souligne-t-elle. Alors, Condoleezza Rice serait-elle pyromane ou pompier ? Si vous posez cette question à un Américain, il vous répondra par la célèbre phrase de l'humoriste Jon Stewart : « Condoleezza Rice fait valoir un curriculum vitae impressionnant au service de son poste, ironisait-il le soir même de son installation au département d'Etat. Petite-fille d'un planteur de coton du Sud, ex-recteur de la prestigieuse université Stanford, elle parle quatre langues et peut se targuer d'être une pianiste de musique classique accomplie, doublée, même, d'une talentueuse patineuse artistique. Toutefois, la seule chose dont elle paraisse incapable est de faire la paix avec d'autres nations. » Ou peut-être, dirions-nous, avec ses propres ambitions...


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