Le soutien que procure l'Administration américaine à Israël n'est pas nouveau ; remontant à la création de l'Etat sioniste, il a partie liée aux intérêts stratégiques des Etats-Unis dans cette région, névralgique entre toutes, qu'est le Moyen-Orient. Rien là que de banal. Jamais cependant cet appui n'a été aussi inconditionnel que depuis le 11 septembre 2001. En effet, depuis les attentats terroristes exécutés par les ouailles zélotes de Ben Laden sur New York et Washington et le lancement qui s'en est immédiatement suivi de la « guerre contre la terreur », toutes les violations du droit international perpétrées par l'Etat hébreu sont sinon justifiées, à tout le moins tues : le massacre de Jenine en avril 2002 ; l'expropriation de 60 km2 de la Cisjordanie ; la colonisation des terres palestiniennes à l'est de Jérusalem en vue d'enlever aux Palestiniens la possibilité de faire d'Al Qods-Est la capitale de leur improbable futur Etat ; la construction du « mur de séparation » ; le recours dit « démesuré » au terrorisme d'Etat ; la destruction de l'Autorité palestinienne ; le refus de la négociation ; l'unilatéralisme... Qu'en est-il cependant de la « feuille de route » brandie par le président américain en 2003 ? « L'engagement sur la feuille de route est une grosse plaisanterie. C'est de la poudre aux yeux. Sharon fait tout simplement ce qu'il veut. » Ce propos amère n'émane pas d'un dirigeant palestinien désabusé ni même d'un militant pro-palestinien indigné, mais désormais d'un homme politique israélien, par surcroît ancien ministre et négociateur : Yossi Beilin. L'alignement sans précédent des Etats-Unis sur les gouvernements israéliens successifs a partie liée avec la prééminence d'un groupe qui s'est hissé au sommet du pouvoir dans le sillage de George W. Bush : les néoconservateurs. Après deux années d'indécision présidentielle au sujet de la doctrine stratégique à adopter pour conduire la politique étrangère américaine, les « neo-cons » vont mettre à profit le trouble du 9/11 pour « vendre » leur vision du monde à une Amérique blessée et dépourvue, depuis l'écroulement de l'« Empire du Mal » (le bloc soviétique), d'une doctrine stratégique alternative. Or celle-ci était en élaboration dans les think-tanks, les « réservoirs d'idées », dès le milieu des années 1990. Telle était même la mission expressément dévolue au Project for a New American Century (« Projet pour le nouveau siècle américain »), un think-tanks néo-conservateur créé en 1997 dont la devise est : « La domination américaine est bonne pour les Etats-Unis et pour le monde ; cette domination implique la force militaire, l'énergie diplomatique et l'attachement aux principes moraux. » Dick Cheney (le futur vice-président), Donald Rumsfeld (le futur secrétaire d'Etat à la Défense), Paul Wolfowitz (le futur secrétaire-adjoint à la Défense), Richard Perle (le futur conseiller) figurent, dès la création du laboratoire, parmi les signataires de ses manifestes. D'autres think-tanks participent à cette entreprise d'élaboration doctrinale, tels l'American Entreprise Institute (fréquenté de longue date par le vice-président Dick Cheney), Hoover Institution (qui compte parmi ses vétérans Condoleezza Rice et Paul Wolfowitz) Heritage Foundation auquel est affiliée la secrétaire d'Etat au Travail Elaine Chao. Leur doctrine se fonde sur un constat simple : les présidents Bush père (1988/1992) et Clinton (1992/2000) n'ont pas exploité la victoire de l'Amérique sur l'« Empire du Mal » soviétique pour projeter la prédominance mondiale des Etats-Unis. A la différence du réalisme et du wilsonnisme, le courant néo-conservateur prône une politique étrangère musclée, interventionniste, néo-reaganienne. Celle-ci est la seule en mesure de garantir la prédominance de la puissance américaine, d'assurer la paix mondiale, de répandre les valeurs de la démocratie dans le monde, de faire échec aux « dictatures de gauche comme de droite »… et de réaliser la prophétie de la « fin de l'histoire ». Dans cette Weltanschauung (vision du monde doctrinale) néoconservatrice, Israël et le Monde arabe occupent une place de prime importance. En 1996, un rapport de politique étrangère, élaboré par d'influents néo-conservateurs américains, est remis au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Intitulé A Clean Break : A New Strategy for Securing the Realm (« une franche rupture : pour une nouvelle stratégie pour la sécurité du Royaume »), le document incite Israël à rompre avec le processus d'Oslo pour reprendre l'initiative stratégique. Dans cette veine, les auteurs du texte recommandent à l'Etat hébreu d'abandonner sans plus tarder le principe — retenu par les accords de 1993 — d'échange de « la terre pour la paix » au profit d'un autre principe, plus impératif, celui de « la paix pour la paix ». Sur le plan régional, le rapport recommande à l'Etat hébreu de suivre la politique suivante : « Israël peut façonner son environnement stratégique, en coopération avec la Jordanie et la Turquie, en affaiblissant, en contenant et même repoussant la Syrie. Cet effort peut se concentrer sur l'élimination de Saddam Hussein du pouvoir en Irak — un important objectif israélien en soi — afin de contrecarrer les ambitions syriennes dans la région. » Sept ans plus tard, le monde devait assister, en direct, à la chute du tyran irakien et de son régime. Le document contient également une ébauche de la fameuse doctrine — exposée par Bush quelques semaines seulement avant l'invasion de l'Irak — de la « guerre préemptive » : « La nouvelle ligne d'Israël exprimera une franche rupture […] en instaurant à nouveau le principe de préemption — plutôt que de se limiter à la seule rétorsion […] ». Le document, écrit il y a dix ans de cela, est signé par d'éminents « neo-cons » dont les plus connus occupent aujourd'hui de hautes fonctions dans l'Administration du président George W. Bush : Douglas Feith (numéro trois du Pentagone), Richard Perle (influent conseiller) et David Wurmser (conseiller du vice-président Dick Cheney).Question : comment éviter de devenir un ennemi complémentaire à l'alliance « neo-cons »-« néo-sionistes » ?