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Claude Sautet, le cinéastre de la condition humaine
Un peintre des choses de la vie
Publié dans El Watan le 11 - 05 - 2006

peintre impressionniste des choses de la vie quotidienne, il a toujours avancé par touches délicates et parfois douloureuses sur la vague de la destinée humaine. Le cinéaste a tout dit sur la France d'après 1968, mais l'homme s'est trop peu exprimé.
Il a constamment préféré se réfugier derrière les comédiens, à travers lesquels, comme Jean Renoir, il faisait passer sa vision du monde en même temps que les subtiles vibrations de l'instant fugace. Une phrase de lui résume toute son œuvre : « Si la vie passe dans un film, le film est bon. Si la vie ne passe pas, on peut faire tout ce qu'on veut, le film est mauvais ». Sautet a signé son premier scénario pour Georges Franju (Les yeux sans visage) un an avant de réaliser son premier film, Classe Tous risques. Ce polar en clair-obscur interprété par Ventura et Belmondo n'a pas tout de suite retenu l'attention des critiques. C'est alors le scénariste qu'on sollicite, plus que le metteur en scène. En attendant qu'il ait enfin la possibilité de diriger lui-même le comédien, l'écriture d'une dizaine de films en cinq ans va développer son sens de l'observation et lui donner une dimension exceptionnelle de narrateur. Dès lors, on retrouvera dans chacune de ses images, un sens aigu du perfectionnisme et du savoir montrer. Après un deuxième polar, sa carrière va basculer en 1970 avec un film enfin totalement personnel, Les choses de la vie. Les Choses de la vie n'est pas seulement une œuvre innovante par sa narration basée sur des flash-back, c'est aussi le vrai départ dans la carrière de Sautet comme metteur en scène. Pendant plus de seize ans, il va filmer la classe moyenne, ce qui va lui valoir à tort, la réputation d'un cinéaste bourgeois. Sautet est un précurseur, car il a su filmer à travers l'accident du personnage central des Choses de la vie, la mort de la société française populaire de la période allant du front populaire à mai 1968. Il a compris que cette révolte avait été le fait de petits bourgeois aspirant au pouvoir. Avec eux, le petit peuple qu'il décrit avec tendresse dans Max et les ferrailleurs ou dans Vincent François et les autres, est une classe de sous-privilégiée appelée à disparaître et avec elle la culture d'une France appartenant désormais aux souvenirs. A travers une série de portraits à la fois lucides et amères d'une bourgeoisie constamment névrosée, ce nostalgique réussit mieux que ses contemporains provincialistes, en particulier Tavernier et Chabrol, à dépeindre l'univers de la France de Pompidou et de Giscard. Car des Choses de la vie à Vincent François Paul et les autres, en passant par Quelques jours avec moi, Sautet dépeint un monde où les hommes ont le malvivre et où la grisaille envahit le quotidien. On remarquera au passage que, comme le metteur en scène, les personnages de ses films fument abondamment. Dans Max et les ferrailleurs, en plus des cigarettes, une fumée supplémentaire est envoyée par le bas de l'écran. Il est intéressant de noter la manière dont Sautet oppose dans ce film l'attitude cynique et destructrice du flic interprété par Piccoli à la tristesse stylisée qu'incarne Delon dans Le samouraï de Jean-Pierre Melville. L'un est l'envers de l'autre, mais Sautet ajoute à Melville la vision de la suspicion des Français à l'égard de leur système policier et judiciaire sur un fond de permanente morosité. Pour reconstituer la vie à la fois simple et fictive qui prévaut dans ses films, Sautet va s'appuyer sur une famille d'acteurs, entre lesquels il va bâtir de liens quasi-familiaux. L'amitié entre les hommes et les femmes d'une bande, qu'elle soit petite bourgeoise ou populaire, va constituer le meilleur ciment de son cinéma. Michel Piccoli et Romy Schneider vont incarner le couple idéal durant les années 1970. A cet égard et dans Max et les ferrailleurs, il offrira à Shneider le rôle de sa vie, celui qui enfin va la sortir de son image d'adolescente modèle qu'elle traînait depuis Sissi. En contrepartie, elle va irradier l'écran de Sautet et lui apporter toute la dimension des attentes de femmes devant le désarroi des hommes perdus sur l'asphalte des villes. Plus tard, il passera à d'autres acteurs pour mieux refléter les couples entre deux âges. On peut comparer Piccoli photographiant le dos nu de Schneider dans Max et, quinze ans plus tard, le crépusculaire Serrault contemplant le dos nu de Emmanuelle Béart. Car Sautet n'a jamais changé de voie, occupé toujours à décrire le tranquille désespoir de la nouvelle société française. Pourtant, ce fin observateur est avant tout un impressionniste retenu de l'incommunicabilité entre les êtres dans une époque où, paradoxalement, les outils de communication se multiplient. Au-delà de sa description de la « middle class », il s'attache surtout à scruter les êtres, à dramatiser leurs regrets et leurs phobies. Le silence est souvent présent chez Sautet, ce qui lui permet de mieux capter les regards, les gestes et les non-dits. De son vivant, Sautet n'a été que rarement compris par la critique et lorsque le public s'en mêle et vient à bouder des films comme Garçon que le cabotinage de Montand frelate, il songe à quitter le cinéma. Car l'homme est un écorché qui projette sur ses personnages le plus profond de ses angoisses. Il évitait les télés, les festivals et les interviews, préférant remonter sans arrêt ses films passés, parfois pour quelques dizaines de plans et de secondes remaniés. Miné par la maladie, Sautet donnera dans un dernier effort avec Nelly et Monsieur Arnaud, un film aussi somptueux que testamentaire sur un cinéaste qui a décidé enfin de baisser les masques et de nous parler directement de ses propres démons.

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