A l'heure de « l'axe du mal » et d'une certaine diabolisation de l'Islam, nous avons rencontré, au cours de notre séjour aux Etats-Unis, de nombreux Américains convertis récemment à l'Islam. Comment une religion pourtant utilisée comme une arme contre les Etats-Unis arrive-t-elle à fasciner les enfants de l'Amérique ? Reportage. On les disaient traumatisés par les attentats du World Trade Center. On les imaginaient dégoûtés à jamais de la religion musulmane. Et pourtant. Ils seraient, chaque année, 50 000 à 80 000 Américains qui embrassent la bannière du Prophète Mohamed. Les attentats du 11 septembre 2001 n'ont, à priori, pas eu l'effet répulsif qu'on imaginait. Au contraire, beaucoup de Blancs, Latinos, Noirs ou Asiatiques vivant aux Etats-Unis se sont tournés vers Allah.Comble de l'ironie, cette progression des conversions, conjuguée à l'augmentation de l'immigration musulmane - notamment en provenance des pays d'Asie du Sud - fait de l'Islam le culte qui se développe le plus rapidement aux Etats-Unis. 87% des 1209 mosquées américaines ont été construites au cours des trente dernières années. Un quart depuis 1994. Et si l'on continue à ce rythme, les musulmans devront bientôt constituer l'une des plus importantes minorités religieuses (après les juifs) des Etats-Unis. Déjà, l'Amérique compte aujourd'hui environ 6 millions de musulmans, presque autant que de juifs (qui ne représentent, nous dit-on, que 2% de la population américaine). Le nombre de musulmans devrait passer à 10 millions en 2010, selon l'International Strategy and Policy Institute. Le nombre de mosquées, lui, a progressé de 25% en six ans : il y en a désormais 1200. Les écoles islamiques aussi se multiplient : 15 à Los Angeles, aujourd'hui, pour une, il y a dix ans. A Washington, pas moins de 60 nationalités fréquentent la mosquée : Algériens, Palestiniens, Pakistanais, Libanais, Indonésiens, Indiens, Chinois, Cambodgiens, Syriens, Irakiens, Iraniens, Kazakhstanais, Bosniaques... Youssef Casewit, Américain bon teint, blond aux yeux bleus, étudiant à George Washington University (Washington DC), affirme qu'il vit très bien sa nouvelle conversion aux Etats-Unis. « Il faut dire que j'ai grandi au Maroc, je me suis imprégné, très jeune, des valeurs musulmanes », nous explique-t-il. Samantha alias Safia, une Américaine rencontrée à la mosquée de Syracuse (dans l'Etat de New York) a, quant à elle, embrassé la religion musulmane depuis une dizaine d'années. Elle nous confie avoir déjà été à La Mecque et qu'elle préside l'association des femmes musulmanes à Syracuse. Si vous lui posez la question sur les terroristes qui ont attaqué les Etats-Unis, elle répond, un brin énervée : « Les terroristes se servent de l'Islam pour leurs propres intérêts. Ce qu'ils font est fondamentalement contraire au message du Coran. » Les nouvelles conversions ne semblent n'avoir aucun lien avec celles des années 50 et 60. Les influences de Malcolm X et de Mohamed Ali n'y sont pour rien. Comment donc une religion qui semble aux antipodes de la culture de ce pays a pu se frayer une aussi importante place dans la très chrétienne Amérique ? Selon un professeur de l'université de Syracuse, spécialiste des religions, cela tient surtout au fait que les Etats-Unis sont, de loin, le pays le plus religieux du monde occidental. « 9 Américains sur 10 prient au moins une fois par semaine. 7 sur 10 sont fidèles d'un lieu de culte. 4 sur 10 participent hebdomadairement à un office. Et chaque semaine apparaissent de nouvelles églises et des sectes. En moyenne, un Américain aura eu trois religions différentes au cours de sa vie ! », nous explique-t-il. L'islam serait donc la dernière mode en la matière, après le bouddhisme, le taoïsme, le confucianisme, le tarot, la méditation transcendantale, l'astrologie, la kabbale, le New Age, le paganisme, le mormonisme... Il n'est pourtant pas si facile de s'affirmer musulman aux Etats-Unis, ces derniers temps. Dans l'Amérique du melting-pot, les musulmans se disent traqués. C'est le cas notamment à Syracuse. Les musulmans rencontrés dans la mosquée de Syracuse nous ont confié ne plus savoir qu'elle attitude adopter. Samantha, elle, confie avoir peur que son foulard islamique provoque la haine de certains de ses compatriotes. « Les Américains ont tendance ces jours derniers à confondre musulmans et terroristes », glisse-t-elle. Elle blâme les médias qu'elle accuse de véhiculer l'idée que tout musulman ou arabe est coupable. C'est que le racisme dans cette petite ville de l'Etat de New York a la dent dure. Des étudiants de l'Université de Syracuse nous ont raconté comment l'une des radios du campus a dû être fermée à cause des propos racistes et antiarabes qui s'y tenaient. « Muslims are stupid », nous a-t-on dit, était l'un des slogans répétés à longueur de journée sur les ondes de la radio. Sale temps pour les Islaméricains !