64 députés (sur les 217) ne siègent plus à l'Assemblée et des comités populaires prennent la place des autorités régionales à Sidi Bouzid. Tunis De notre correspondant Depuis jeudi, jour de l'assassinat de Mohamed Brahmi, des manifestations sont enregistrées quotidiennement à Tunis, Sidi Bouzid, Sfax, Sousse, Gafsa, le Kef, Mahdia, Kairouan et d'autres villes. Les manifestants réclament la dissolution du gouvernement et de l'Assemblée constituante, et la désignation d'une personnalité indépendante à la tête d'un gouvernement de salut national pour organiser des élections dans les plus brefs délais.Après un début timide jeudi, le gel de l'appartenance à l'Assemblée nationale constituante (ANC) a gagné en intensité et les constituants réfractaires commencent à s'exprimer comme étant la façade politique de l'insurrection qui commence à germer en Tunisie, juste après l'assassinat de Mohamed Brahmi. En effet, si le nombre de ces constituants s'élevait vendredi soir à 42 (sur les 217 membres de l'ANC), samedi, après les obsèques du martyr Mohamed Brahmi et, surtout, après l'agression des forces de l'ordre contre les constituants voulant organiser un sit-in devant l'ANC, ledit nombre a atteint 63. Les groupes parlementaires Alliance démocratique et Liberté et dignité, hésitants auparavant, ont penché du côté des réfractaires. On n'est plus loin du tiers de blocage qui nécessite 73 voix. Le porte-parole du sit-in, le constituant, Samir Taïeb, affirme que «ce n'est pas une question de nombre. Il s'agit surtout de traduire la volonté populaire de couper avec la léthargie d'une ANC, coquille vide, qui essaie de faire passer une Constitution et des lois taillées sur mesure pour installer une dictature religieuse». Donc, l'Assemblée nationale constituante est sur le bord du blocage institutionnel, surtout que le vote de la Constitution et l'élection de l'Instance des élections nécessitent les deux tiers. Déjà, unie, l'ANC n'est pas parvenue à élire l'instance des élections, faute d'obtention des deux tiers requis pour les élections. Que dire maintenant après cette dissidence. C'est désormais la confusion qui règne en Tunisie, comme l'indique ce qui se passe à Sidi Bouzid, où les autorités régionales ont plié bagage et ce sont les organisations de la société civile, notamment la centrale ouvrière (UGTT) et patronale (UTICA), qui essaient d'organiser la vie au gouvernorat et dans les délégations. Les villes de Gafsa, Kairouan et Mahdia vivent, par ailleurs, des situations quasi similaires. Des manifestations ont également eu lieu à Monaastir, Bizerte, le Kef, Bizerte, Sousse et à Sfax. C'est dire que «toute la Tunisie s'insurge contre le gouvernement de la troïka qui n'est pas parvenu à instaurer la stabilité, pilier de la reprise économique et condition essentielle pour la réalisation des objectifs de la révolution», comme l'a indiqué Jilani Hammami, dirigeant du Front populaire. Les divergences se multiplient Sur le terrain politique, des divergences fondamentales opposent la troïka gouvernante, notamment Ennahdha, à l'opposition, composée essentiellement de l'Union pour la Tunisie (Nidaa Tounes, Al Joumhouri, Al Massar, PS et PTPD) et le Front populaire (une dizaine de petits partis de gauche radicale et de nationalistes). Ennahdha se prévaut toujours de sa légitimité électorale et ne reconnaît pas son échec dans la réalisation des objectifs de la révolution, près de deux ans après les élections du 23 octobre 2011. L'opposition accuse Ennahdha de tentative d'emprise sur l'Etat et ne cesse de réclamer une feuille de route précise pour la transition. Face à la crise née de l'assassinat de Mohamed Brahmi, le membre du bureau politique d'Ennahdha et ministre de la Santé, Abdellatif Mekki, a déclaré que «la Constitution sera achevée dans deux à trois semaines et que l'Instance supérieure indépendante pour les élections sera formée dans les 48 heures». Il ne s'agit que «d'une promesse creuse comme toutes les autres, que la troïka ne cesse de filtrer depuis mars 2012, sans jamais les réaliser», lui a répliqué le constituant de Nidaa Tounes, Khemaies Ksila. «Nous n'allons lever notre sit-in qu'après la chute de l'Assemblée et du gouvernement et l'installation d'un gouvernement provisoire qui aura pour seule tâche de veiller à l'adoption de la Constitution et à parrainer les échéances électorales», ajoute Ksila dans un point de presse tenu à la place du Bardo, après avoir rencontré le ministre de l'Intérieur, pour «protester contre l'agression subie la veille à l'aube par les sit-ineurs de la part des forces de l'ordre». En effet, à deux reprises, samedi dans la journée et dimanche à l'aube, les forces de l'ordre ont essayé de disperser les manifestants. Le ministère de l'Intérieur justifie l'intervention de ses unités par «l'existence de deux groupes de manifestants qu'il fallait séparer». «Ce n'est qu'un alibi», assure Slim, un jeune médecin venu manifester parce qu'il «en a marre». «Les forces de l'ordre nous ont chargés avec les éléments des ligues de la protection d'Ennahdha», précise-t-il. «La troïka a peur de ce sit-in. Cela leur rappelle les sit-in de la Casbah qui ont emporté les deux gouvernements de Mohamed Ghannouchi en 2011», conclut-il. Les véritables tractations politiques ne font que commencer. La Tunisie retient son souffle. Le risque de dérapage n'est pas à écarter.