Dalila Mekkader, chanteuse de musique andalouse et de hawzi, sera en concert ce soir à la salle El Maghreb, à Oran, à partir de 23h. Elle animera un concert le 7 août au Bastion 23, à Alger. El Watan Week-end l'a rencontrée pour parler de ses projets. - Votre dernier album est Nouba Maya. C'est déjà le troisième en cinq ans. C'est donc presque un retour aux sources pour vous.
Le nouvel album est sorti en juin dernier. On peut y trouver quatorze pièces. Auparavant, j'avais fait sortir un album sur la nouba Aroubi en mode Moual. Ils disent que j'ai une touche de Fadila Dziria, avec le même timbre vocal. J'ai fait un autre CD à son hommage, Nouba Raml el Maya et Hawzi (sorti en 2009). La Nouba, c'est ce que j'ai appris au début de ma carrière. En fait, je devais enregistrer une nouba Ghrib, puis à la dernière minute, j'ai senti que ça n'allait pas entre moi et les morceaux que je devais interpréter. J'ai alors cherché une autre nouba et je suis tombée sur Maya, une nouba chantée à l'aube. On évoque la séparation après la soirée de fête. Les pièces m'ont beaucoup plu.
- Vous avez une préférence parmi toutes les noubas ?
Toutes les noubas sont agréables. Mais tout dépend des morceaux qu'on choisit. Il y a des morceaux qui conviennent à la voix, à ce qu'on ressent. Pour ce dernier album, j'ai choisi les textes avec l'aide du chef d'orchestre Nadjib Kateb de l'association La Cordoba d'Alger et avec celle du musicien Billel Bestani (joueur de kwitra). Nous avons travaillé ensemble pour pouvoir aboutir à ce programme. Je fais toujours des recherches avant d'enregistrer un album. Et lorsque j'interprète une nouba, je respecte la structure.
- Il y a, semble-t-il, un inédit dans cet album.
Hada Zemen (insraf) fait plutôt partie des morceaux oubliés. Il m'a été donné par mon cheikh Hadj Mamad Benchaouch qui est toujours en vie. Nous avons malheureusement perdu les autres maîtres. L'album Nouba Maya lui est d'ailleurs dédié. J'ai passé plus de deux ans avec maître Benchaouch au Conservatoire d'Alger dans les années 1970. J'avais commencé avec Anis Mhamsadji et Mustapha Boudekhiche, puis avec Mamad Benchaouch et Mustapha Skandrani. Ensuite, j'ai rejoint l'association El Fakhardjia. Une association créée par les élèves du Conservatoire.
- Un Conservatoire que vous avez rejoint à 9 ans.
C'est cela, vers 1974. Nous avions commencé avec le solfège. Ce n'est qu'après que nous devions choisir entre la musique classique européenne et la musique andalouse. J'ai choisi notre riche musique. Mon grand-père, à Tlemcen, était aux côtés de cheikh Larbi Bensari. Mais dans la famille, je suis la seule à avoir choisi de faire carrière dans la musique andalouse. Je suis passée par les associations El Fakhardjia, El Soundoussia et enfin La Cordoba. J'aime bien les associations, c'est là où on apprend plus. Et puis, le chant andalou est un domaine vaste. On n'arrête donc jamais d'apprendre. Il y a toujours des choses à découvrir. Il existe des morceaux qu'on n'a pas appris lorsque nous étions jeunes. Actuellement, les associations font du bon travail et ça s'améliore de plus en plus. Les jeunes ne s'intéressent qu'au rap, R'n'B ou au hip-hop.
- Vous-même vous êtes prête à enseigner aux jeunes ?
J'aimerais bien si je trouve l'occasion de le faire (…). Certains pensent que la musique andalouse fait dormir. Ils ont des idées reçues. Peut-être qu'ils n'ont pas eu l'occasion de l'écouter. Quand on écoute l'andalous, on change d'avis. Je sais que l'andalous ne fait pas beaucoup danser, mais je pense qu'il faut donner plus d'importance à ce style musical en Algérie. C'est notre patrimoine national, nos racines, notre culture. J'écoute toutes les musiques, mais il faut équilibrer un peu. L'Algérie, ce n'est pas que le raï. A l'étranger, on pense qu'en Algérie, il n'y a que le raï comme musique. Il y a un effort de promotion à mener. L'Etat doit s'impliquer davantage. Les ambassades doivent aussi jouer leur rôle. A chaque fois que je sollicite les représentations diplomatiques à l'étranger, elles nous répondent qu'elles n'ont pas de moyens. Il faut tout de même faire un petit effort pour notre culture. Nous sommes en retard par rapport à d'autres pays. Aux Emirats, j'ai fait connaître l'andalous, la cuisine et les habits traditionnels algériens à mes voisins de quartier. Mes voisins m'ont avoué qu'ils avaient une tout autre idée de l'Algérie. Après un passage à Dubaï TV, des gens sont venus me voir pour dire qu'ils ne connaissaient pas ces aspects de la culture algérienne. Aux Emirats, il y a le global village où l'on trouve tous les pays sauf l'Algérie. Ce n'est pas normal. L'Algérie a pourtant beaucoup de choses à montrer, à faire découvrir.
- La musique andalouse doit-elle s'ouvrir davantage à l'autre ?
C'est mon but justement ! J'ai vécu vingt ans aux Etats-Unis. J'habite actuellement aux Emirats arabes unis. J'ai envie de faire cette musique ailleurs pour sortir de la «localité». Aux Emirats, ils ne connaissent pas la musique andalouse. J'ai animé un concert aux Etats-Unis avec la présence de Assia Djebbar. Elle m'a dit que je lui faisais rappeler Fadila Dziria. Fadila aimait ce qu'elle faisait. On le faisait communiquer aux gens par le chant, dégageait une certaine émotion. La culture peut être un bon ambassadeur. Je suis en train de travailler pour monter un spectacle à Dubaï. J'ai demandé l'aide de l'ambassade pour faciliter le transport des musiciens. J'attends. D'autres personnes, comme mes voisins, m'ont promis de m'appuyer dans ce projet sans aucune contrepartie. Le projet avance doucement.
- Qu'en est-il de vos activités en Algérie ?
J'ai fait une tournée à l'ouest du pays avec des chanteurs chaâbi. Ils m'ont fait découvrir beaucoup de choses. Brahim Bahloul, auteur compositeur, m'a proposé de faire un single dans le style hawzi. Je compte produire un album sur le mdih.
- Vous écoutez sûrement les interprètes telles que Beihdja Rahal, Meriem Benallal, Zakia Kara Turki…
Nous venons toutes de la même école, Fakhardjia, Essoundoussia. Ces chanteuses fournissent beaucoup d'efforts pour sauvegarder la musique andalouse. Il faut leur faire confiance. Chacune d'elles fait du beau travail. Et je sais que ce n'est pas facile en Algérie.
- Est-il encore possible de reconstituer un orchestre féminin andalous et hawzi comme à l'époque de Meriem Fekkai ou Mâalma Yamna ?
Pourquoi pas ! C'est une idée intéressante. On peut travailler ensemble. Le niveau se rapproche même si les voix ne se ressemblent pas. Nous avons déjà tenté l'expérience lors d'un hommage à Abdelkrim Dali, il y a plus de deux ans avec un ensemble mixte. J'étais assise aux côtés de Zakia Kara Turki, Karim Boughazi et Meriem Benallal. C'était un concert inoubliable. Cela dit, les chouyoukh de l'andalous risquent de voir d'un mauvais œil un orchestre féminin qui débute son récital avec Rana djinejk. Nous n'arrivons pas à être souples sur ce plan. Pourtant, Meriem Fekkai a du succès jusqu'à maintenant. On ne s'en lasse pas. On écoute avec plaisir Rana Djinek dans les fêtes. Je fais le hawzi et l'andalous et je pense que je peux chanter d'autres styles. Rien ne l'empêche à mon avis. Il faut laisser libre l'expression vocale. Aux Emirats, j'ai fait partie d'un orchestre Al Takht Al charqui, formé par des Syriens. Nous avons animé un concert magnifique, le public a apprécié. J'ai interprété trois chansons du Maghreb, Nejma Kotbia de Rabah Derriassa, Mersoul el hob de Abdelwahab Doukali et Jari ya hamouda de Ahmed Hamza. Nous avons chanté ensuite des mouachahat avec la présence du petit neveu de Farid Al Atrach, Alaa Al Atrach.