- Les dispositifs agricoles traditionnellement connus semblent aboutir à des résultats pour le moins mitigés, quel est votre avis ?
Premièrement, ces dispositifs ne sont liés à aucune stratégie précise dans laquelle ils s'inscriraient pour un temps limité (sachant que le pétrole n'est pas éternel) en tant que levier économique pour un développement durable. Ces programmes (réduits à des nomenclatures d'attribution d'argent) ne disposent d'aucun outil de suivi, d'évaluation, voire d'objectifs précis. Viennent se greffer à ce contexte une absence totale d'identification de groupes socio-économiques spécifiques pour une analyse des besoins et attentes d'une part et l'ignorance totale du potentiel de ressources naturelles locales sur lesquelles peuvent être fondées des stratégies fiables. D'autre part, le manque de professionnalisme à tous les niveaux (administration et profession) est aggravé par l'absence flagrante d'un réseau de communication adéquat et un déficit de complémentarité entre filières, pourtant plausible. Ces filières ne font l'objet d'aucun intérêt pour des actions communes dictées par les exigences du marché. La vision d'un développement intégré à travers ces dispositifs n'a pas eu lieu ni par zone, ni par région, ni envers des ensembles géographiques homogènes. La valorisation des produits agricoles n'a fait l'objet d'aucun intérêt. Aussi, les atouts importants dont dispose le pays, dont ses positions géographiques méditerranéennes et sahariennes, ne sont point mis en valeur. Les effets d'annonce précédemment énumérés sont encadrés par la manipulation des statistiques et des prévisions erronées (le tintamarre fait autour de l'exportation de l'orge est édifiant).
- Et pourtant le pays recèle et dispose, comme vous venez de le dire, d'atouts pouvant remédier à cette situation…
En exploitant à peine un quart de ses potentialités agricoles l'Algérie importe environ trois quarts de ses besoins en produits alimentaires. Ceci témoigne de la complexité du chemin à parcourir pour garantir la sécurité alimentaire. Cela dépend des potentialités productives à mettre en œuvre. Toutefois, l'agriculture algérienne s'arrêtera au temps T1 où s'arrêteront les subventions. Elle s'arrêtera aussi au temps T2 où s'arrêteront les importations des intrants. C'est vous dire que vraisemblablement les atouts ne manquent pas. C'est plutôt la politique agricole qui pose problème. Plus de 150 zones spécifiques peuvent être «rappelées» à leur vocation ancienne. Le potentiel non valorisé de ces produits est capable d'ouvrir de nouveaux créneaux économiques dans l'agroalimentaire. Cette action pourra servir de levier économique par l'entremise de nouvelles règlementations de gestion territoriale des productions spécifiques. Une partie importante des produits de notre terroir peut être valorisée pour servir de matière première à l'industrie de transformation. Par ceci, les coûts de production chez nous peuvent être ramenés à un quart du niveau des cours à l'importation. La disponibilité de territoires à mettre en valeur sur de grandes étendues pour les cultures industrielles fait face à l'existence d'une élite économique potentielle actuellement tournée vers l'importation. Il n'y a qu'à voir les énormes parcs des concessionnaires automobiles au milieu d'étendues agricoles abandonnées. La disponibilité de l'énergie à bon marché et le potentiel d'énergies renouvelables (chaleur et lumière en particulier) dont dispose le pays sont autant d'opportunités techniques importantes, voire une aubaine qui s'ajoute au potentiel de financement. Ces avantages comparatifs sont des chances à saisir pour le développement de l'agriculture algérienne.
- C'est donc la politique agricole mise en place par l'Etat qui pose problème tout compte fait ? Quelle est, d'après vous, la stratégie et la démarche adéquates à entreprendre et quelles sont les solutions que vous préconisez ?
Sachant que tous les produits représentent un intérêt économique à exploiter, il y a lieu de s'équiper d'outils techniques, juridiques et logistiques, à travers un ensemble d'organismes, d'organisations et d'institutions, pour servir de toile active au sein de laquelle la politique agricole doit encadrer des visées stratégiques. Le soutien de l'Etat doit être mis rationnellement à la disposition des producteurs à travers une approche méthodologique pour des objectifs de satisfaction de besoins économiques précis. Globalement quatre axes d'intervention peuvent constituer une feuille de route. Il faut commencer par répertorier et valoriser tous les produits ayant bénéficié par le passé de reconnaissances collectives. Un programme de valorisation doit s'adapter à chaque contexte. Il sera ensuite nécessaire de faire évoluer le cadre législatif et politique pour qu'une décentralisation nécessaire s'amorce de manière légale autour des zones homogènes. Il est également recommandé de mettre en place des stratégies de planification plus globale, de synergies d'actions et de partenariats tous azimuts : ville/campagne, public/privé, plaine/montagne, zones humides/zones sahariennes, etc. La révision du cadre législatif du développement de l'investissement s'impose, tout en restructurant le système financier pour lui faire prendre le risque actuellement non partagé et construire un marché rémunérateur pour le produit national. C'est ainsi qu'on pourra retenir les leçons des expériences des dispositifs tels qu'engagés actuellement pour mettre en place progressivement des mécanismes universels de développement de l'agriculture. L'Etat doit également fixer des échéances et des objectifs de développement du niveau de vie des populations pour chaque programme et mettre en place un système permanent de suivi-évaluation. Il est ensuite important d'accompagner les idées du développement local avec un esprit participatif de l'administration, en renforçant les capacités institutionnelles, méthodologiques et techniques des pouvoirs publics. Promouvoir une nouvelle approche de développement fondée sur le respect à l'environnement est une option qui s'impose d'elle-même aussi. L'Etat doit s'investir également dans l'identification et l'évaluation du potentiel économique et des richesses naturelles dont disposent les régions et sur lesquelles doit se fonder un développement créateur d'emplois et générateur de ressources. Il faut travailler aussi de sorte à inciter les investisseurs potentiels à développer des créneaux économiques porteurs et durables autour des produits du terroir et faire connaître aux opérateurs les circuits commerciaux, les marchés ouverts et les normes internationales en matière de qualité. Le développement local ou régional doit être inscrit dans une vision de développement global. Il est intéressant sur le plan organisationnel d'inciter à la réorganisation volontariste en clusters des acteurs de la composante produit.