Jeudi. Le ciel est gris. Les véhicules blindés de la police sont toujours positionnés devant les institutions de l'Etat. Un climat et une ambiance maussades accentuant davantage les cœurs meurtris aux lendemains de cet ouragan de révolte ayant brutalement secoué Lalla Maghnia. Fatalité ou concours de circonstances, ce jour-là, les cœurs des Maghnaouis balançaient entre deux procès, celui des émeutiers dont le jugement est jugé sévère et celui des cadres de l'entreprise de l'ENCG considéré comme « clément pour ceux qui ont mis à genou l'économie de la région ». Dans ce magma de paradoxes et de tension à peine voilée, la rue commente les événements sans retenue. « Nous savons que dans pareille situation, il y a beaucoup de boucs émissaires. Ici, tout le monde sait que la plupart des jeunes qui ont été lourdement condamnés ne sont pas les véritables fauteurs de troubles. Les agents de la police avaient ramassé des jeunes dont le seul tort est d'avoir voulu suivre les événements sur le seuil de leurs portes ou à partir des trottoirs. Des lycéens et des stagiaires ont été embarqués au moment où ils fuyaient les émeutes. Ils étaient des appâts faciles... » Des peines allant de trois mois à quatre ans d'emprisonnement ferme ont été prononcées contre les 49 émeutiers. Une sentence qui a été accueillie à l'extérieur du tribunal par des jets de pierres et des insultes. Les familles des détenus, n'ayant cure du nombre impressionnant des éléments des brigades antiémeute ramenés de plusieurs wilayas de l'ouest du pays et déployés sur les artères menant au parquet, menaçaient de se « venger de cette injustice ». Sitôt le verdict prononcé que les commerces avaient baissé rideau, les transports publics s'étaient immobilisés, un véhicule de la police fut la cible de jeunes embusqués dans les méandres du centre-ville et la Cité s'était complètement vidée, comme si la population redoutait un cyclone. Jamais Maghnia ne s'était parée d'un habit aussi lugubre, aussi apocalyptique. La rumeur s'amplifiait et la panique grossissait. Ce n'étaient pas les véhicules blindés qui sillonnaient la ville avec ostentation, ni les matraques provocatrices qui pouvaient rassurer les pères de famille apeurés et qui ne savaient comment rejoindre leurs domiciles. Un véritable état de siège où tout était suspect. « On veut éradiquer le trafic de carburant ? C'est simple, qu'on mette sous surveillance, d'abord, ceux qui sont censés protéger nos frontières, ensuite éliminer ces dépôts d'essence et de gasoil disséminés dans la ville et les villages frontaliers », témoignent les autochtones, dégoûtés par tant d'hypocrisie dans la gestion de ce fléau. « Dites que des véhicules immatriculés sur tout le territoire national font dans la contrebande, il suffit de lire les plaques minéralogiques. Qu'on arrête de nous bombarder d'anathèmes. Les vrais barons sont salués respectueusement pas ceux qui sont payés pour les arrêter. » Le jeune presque en transe se lève pour prendre à témoin des personnes attablées sur la terrasse d'un café. Toutes opinent, histoire de confirmer ses dires. Une voiture blindée passa, tel un bolide, sur le boulevard principal. « Qu'est-ce qu'il leur prend, c'est le calme entier, alors pourquoi ces provocations ? », réagit un autre jeune, récemment refoulé d'Espagne. Un calme précaire si l'on se fie aux visages émaciés, noirs d'indignation et de colère. 17 h. Subitement, des personnes courent dans tous les sens, les commerces baissent rideau, les transports publics s'immobilisent et la ville se vide. Un cauchemar qui ne risque pas de s'estomper tant que la méfiance et la suspicion hantent toujours les esprits.