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Le clan présidentiel éclaboussé
Scandale de corruption Chakib Khelil
Publié dans El Watan le 14 - 08 - 2013

Situé au cœur du système, Chakib Khelil ne peut être le seul à avoir touché à l'argent sale de la corruption. Il faisait partie du clan présidentiel et ne faisait rien sans l'autorisation ou le contrôle de celui-ci. L'implication d'Orascom Industrie, une société aux relations assez étroites avec le frère du président de la République, est révélatrice d'une précampagne électorale où les locataires d'El Mouradia n'ont plus de place. Et ce n'est que «le début du début», a déclaré le procureur général près la cour d'Alger, Belkacem Zermati.
Au cœur de la corruption qu'il a érigée en système depuis sa venue au début des années 2000, Chakib Khelil, ancien ministre de l'Energie (2001-2010), vient d'être rattrapé par la justice algérienne. Aidé volontairement ou involontairement à quitter le pays au moment où ses domiciles à Alger et à Oran faisaient l'objet d'une perquisition, Khelil n'est, pour beaucoup, que l'arbre qui cache le «clan présidentiel». Arrivé en 2000 dans les bagages de Bouteflika, lors de son premier mandat présidentiel, il a été nommé ministre de l'Energie, puis a assuré l'intérim du poste de PDG de Sonatrach en 2001-2003, période durant laquelle les plus importantes affaires concernées par l'enquête ont été conclues. Raison pour laquelle, nous explique une source judiciaire, le pôle pénal d'Alger a lancé le mandat d'arrêt international à son encontre et non pas la Cour suprême, comme le stipule le code de procédure pénale en matière de privilège de juridiction.
Ainsi, pour la première fois dans l'histoire du pays, un ministre de la République fait l'objet d'un mandat d'arrêt international. La mesure est très lourde même si, pour l'instant, il est utopique de croire que les autorités US, qui lui ont accordé la nationalité américaine et chez lesquelles il s'est réfugié, puissent le livrer. Durant toute une décennie, l'ancien ministre est resté très attaché à son pays d'asile où résident sa femme et ses deux enfants auxquels il rendait visite au moins une fois par mois. «Quand il revenait de ses voyages, c'était un autre homme. Il venait dans la majorité des cas avec de nouvelles orientations dont il faisait part au staff dirigeant du ministère et de Sonatrach», a souligné un cadre du secteur. Pour lui, sauf surprise, «Chakib Khelil ne peut trouver meilleure refuge que là où il est. Dans le cas contraire, ce sont ceux qu'il a servis qui doivent avoir peur parce qu'il ne partira jamais seul».
L'avis est partagé par de nombreux observateurs. «L'ancien ministre n'est que l'arbre qui cache la forêt. Il n'est pas le seul à avoir profité de cette manne. Il faisait partie d'un système situé au plus haut niveau de l'Etat. Il ne pouvait pas agir seul et n'acceptera jamais de payer seul», a révélé notre source. En fait, les informations rapportées lundi dernier par le procureur général, Belkacem Zermati, au siège de la Cour d'Alger, ne représentent que la partie visible de l'iceberg. Ce «début du début» de l'enquête (comme l'a si bien qualifié le procureur général) est déjà révélateur d'une immense opération de rapine au centre de laquelle se trouvent le «jeune» Farid Bédjaoui (45 ans) et le vieux Chakib Khelil. Le premier est la face apparente ; il mettait en relation les sociétés intéressées par les marchés dans le secteur de l'énergie avec le premier responsable du secteur, avec lequel une relation d'affaires existe depuis déjà des années. Présenté comme son conseiller, Bedjaoui s'occupe des négociations autour des montants des commissions et, souvent, il faisait assister à la fin l'ancien ministre. Dans le cas de l'affaire Saipem, filiale du géant pétrolier italien ENI, les justices italienne et algérienne ont levé le voile sur des liens avérés entre les dirigeants italiens, dont Pietro Varone et Farid Bedjaoui. Les montants versés par la société à Farid Bedjaoui pour obtenir les contrats ont dépassé largement les 200 millions d'euros.
Plus de 200 millions d'euros de commissions versées par Saipem à Farid Bedjaoui
A Milan où une enquête a été ouverte sur les informations judiciaires parvenues d'Alger, à la suite de l'inculpation de Saipem Algérie en tant que personne morale, les juges italiens lèvent un vrai lièvre. Debora Somaschini, petite-fille de l'épouse de Pietro Varone, Regina Picone, était employée de l'entreprise OGEC, appartenant à Farid Bedjaoui et son frère. Cette société, qui exerce dans les raccordements des puits de gaz, a obtenu plusieurs marchés de sous-traitance auprès de Saipem. Lors de la perquisition du domicile de Pietro Varone, vers la fin de l'année écoulée, la police a surpris Somaschini avec une valise contenant des documents sur Saipem et Varone ainsi qu'une somme d'argent. Parmi les documents trouvés, des formulaires pour l'ouverture d'un compte détenu conjointement dans une banque à Beyrouth par Mme Picano et Farid Bedjaoui. Pour les juges, des liens d'intérêt existent bel et bien entre Farid Bedjaoui et la famille Varone. Ils concernent une société de production de vin dont Pietro Varone est administrateur ; elle a été créée en 2008 dans la province de Caserte, avec 20% des parts appartenant à Farid Bedjaoui, qui avait pris des engagements pour y injecter un montant de 1,5 million d'euros. Varone, faut-il le préciser, avait signé un contrat de courtage avec la société de Bedjaoui, Pearl Ltd, domiciliée aux Emirats, et a servi pour le transfert d'une grande partie des commissions versées par Saipem allant de 2,5% à 3% du montant global des marchés obtenus en Algérie.
Plusieurs contrats ont été décrochés par Saipem, suivis à chaque fois par le paiement des commissions versées à Pearl Ltd sur des comptes bancaires aux Emirats arabes unis. Ces paiements ont été également effectués par d'autres filiales françaises et portugaises de Saipem. Franco-Algérien, Farid Bedjaoui a fait ses plus importantes affaires dans le secteur de l'Energie grâce à Chakib Khelil, alors ministre de l'Energie et ami de longue date de son oncle. En 2003, Khelil a confié à la Rayan Asset Managment, créée à Dubaï quelques mois auparavant par Farid Bedjaoui et Ziad Dalloul (son beau-frère), le placement des actions de Sonatrach (plus d'un milliard de dollars) dans les compagnies américaines Anadarco et Duke Energy à l'américain Russell Investments. Quelques années plus tard, comme pour protéger le «jeune» (nom de code de Farid Bedjaoui que lui ont donné les Italiens), Chakib Khelil défend ce placement en mettant en avant sa «rentabilité» financière pour Sonatrach. Le nom de Farid Bedjaoui disparaît jusqu'à fin 2012, à l'éclatement du scandale Saipem avec l'affaire du GK3 que le ministre Khelil avait géré personnellement en mettant de côté le PDG de Sonatrach, alors Mohamed Meziane, actuellement placé sous contrôle judiciaire.
Khelil, la famille et les amis
En plus du fait qu'il soit associé à un des dirigeants de Saipem, Farid Bedjaoui est associé également à Khaldoun Khelil, le fils de l'ex-ministre, mais aussi à Mme Khelil dans de nombreuses entités économiques domiciliées au Liban et en Syrie, en Jordanie et en Egypte, dont les comptes auraient été utilisés pour le transfert des commissions. Entre Farid Bedjaoui et la famille Khelil, les relations sont étroitement liées aux affaires.
Au ministère de l'Energie tout se savait. Même s'il n'a visité l'Algérie qu'une ou deux fois, Farid Bedjaoui était très bien introduit auprès des plus hauts responsables de l'Etat qu'il rencontrait à Paris.
D'ailleurs, c'est grâce à ces relations qu'une grande partie des activités de l'Année de l'Algérie en France (en 2007) lui a été confiée au prix fort. Autre dossier sur lequel le juge de la 9e chambre du pôle pénal spécialisé travaille est celui lié à cette société OGEC, qui fait dans le raccordement des puits de gaz, dont les bureaux se trouvent à La Valette (Malte) et dont les dirigeants sont en majorité des Syriens. «L'information qui circule dans le milieu de l'énergie, c'est que cette firme appartiendrait à une Syrienne très proche de Chakib Khelil. Elle a obtenu de nombreux contrats grâce à l'intervention de l'ancien ministre qui l'imposait comme sous-traitante à Saipem, Petrofac, SNC-Lavalin ainsi qu'à d'autres entreprises. C'est vrai que l'entreprise est professionnelle dans son domaine, mais tout le monde soupçonne Khelil de toucher des dividendes à chaque fois qu'il l'impose aux partenaires de Sonatrach», a révélé un cadre du groupe Sonatrach.
Il en est de même pour Orascom Industrie, une des filiales d'Orascom, qui bénéficiait d'un statut privilégié en raison des relations qu'entretiennent ses patrons avec le frère du Président, Saïd Bouteflika. «Orascom Industrie, inculpée en tant que personne morale, était la société la plus chouchoutée, tout comme d'ailleurs les autres filiales du groupe parce tout le monde dit qu'elle est parrainée par le frère du Président. Raison pour laquelle, aujourd'hui, personne ne peut croire que Chakib Khelil a agi seul dans cette grande opération de rapine. Il faisait partie d'un clan qui l'a protégé durant des années en dépit des scandales qui ont éclaté dès l'année 2004 avec l'affaire BRC, ou l'achat des deux tours Chaâbani. Chakib Khelil n'est en réalité que l'arbre qui cache la forêt, ou plutôt le cercle présidentiel», a conclu notre source, en précisant que le mandat d'arrêt lancé contre Chakib Khelil et les membres de sa famille signe la fin d'un clan qui espérait rebondir à la veille de 2014.


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