Alors que le procureur général d'Alger a annoncé le 12 août qu'il avait lancé un mandat d'arrêt international contre l'ancien ministre Chakib Khelil, les critiques fusent de toutes parts. Tardive, politisée, la justice n'arrive plus à rassurer. Tous les experts de la lutte anticorruption font le rapprochement. La déclaration du procureur général d'Alger arrive quelques jours après que la justice italienne arrête un responsable italien de Saipem et ne lance un mandat d'arrêt international contre l'Algérien Farid Bedjaoui. «Quel est l'Algérien qui peut croire aujourd'hui que la justice algérienne vient de réagir indépendamment des toutes récentes révélations de son homolgue italienne ?», s'exclame Djilali Hadjadj, le porte-parole de l'Association algérienne de lutte contre la corruption. Une telle proximité temporelle fait douter les observateurs, parce qu'elle s'est déjà produite. Pour Hocine Malti, ex-vice président de Sonatrach et auteur de L'histoire secrète du pétrole algérien, c'est lorsque les Italiens se sont intéressés à Saipem dans le cadre d'une enquête sur la corruption que la justice algérienne a fait une grande déclaration annonçant la découverte d'un réseau international de corruption. En plus d'arriver après la bataille, la justice dans cette affaire est systématiquement liée à des considérations politiques. Les premières enquêtes sur les affaires de corruption à Sonatrach portaient sur la période au cours de laquelle Chakib Khelil était ministre de l'Energie et des Mines. Pourtant, il n'a été convoqué qu'au mois de juillet 2013. Pour Hocine Malti, cette affaire est une illustration d'une guerre de clans, d'autant que Chakib Khelil est un proche du président Bouteflika. «La justice algérienne (…) est aux ordres de l'Exécutif et du pouvoir, elle bloque les enquêtes quand on le lui ordonne et fait des annonces opportunistes pour faire croire qu'elle agit», dénonce Djilali Hadjadj. Comment expliquer sinon que le projet de champ gazier Alrar, attribué au britannic Petrofac et qui présente une surfacturation de 200 millions de dollars n'ait jamais intéressé les enquêteurs ? Ce marché, c'est bien Chakib Khelil qui l'avait favorisé. Les acteurs associatifs sont unanimes : les autorités n'ont pas vraiment l'intention de lutter contre la corruption. Alors qu'un mandat d'arrêt a été délivré contre Chakib Khelil, la lutte contre la corruption est constamment freinée par les autorités. L'Association nationale de lutte contre la corruption, mise sur pieds par des membres de la Ligue des droits de l'homme, s'est vue refuser son agrément pour des prétextes d'ordre linguistique. Les affaires dont se fait écho la presse ne sont que rarement les affaires qui mettent en cause les plus hauts dirigeants. Dans une lettre écrite en 2010, Hocine Malti s'adressait déjà aux enquêteurs du DRS en ces termes : «Tout se passe comme si on vous avait demandé de ne pas porter vos investigations vers la partie immergée de l'iceberg. Ce qui me gêne, c'est de constater, encore une fois, que les très hauts responsables politiques et militaires algériens semblent être immunisés contre toute tentative de corruption, qu'ils ne se sont ni corrompus ni corrupteurs, qu'ils sont blancs comme neige, comme si la corruption s'arrêtait au dernier étage de la technocratie».