Mgr Henri Teissier est ordonné prêtre à Notre-Dame d'Afrique, par le cardinal Duval, le 25 mars 1955. « La première mission qu'il m'a confiée était d'approfondir la connaissance de la culture arabo-musulmane. Pour ce faire, il m'a envoyé, l'année suivante (1956), au Caire où j'ai étudié deux ans à l'université. Il était conscient que l'Algérie allait récupérer son identité, et par conséquent, il fallait qu'il ait un effort de connaissance de la langue et de la culture arabes. D'ailleurs, dès son arrivée à Alger, presque tous les prêtres étaient envoyés pour faire des études en Tunisie, en Egypte et en Italie », témoigne Mgr Teissier. Selon notre interlocuteur, le cardinal Duval a donné une direction claire au regard de ses sujets pendant toute la guerre de 1954 à 1962 en réagissant à chaque fois qu'un dépassement contre les droits de l'homme est constaté. « Il avait condamné la torture dès le mois de janvier 1955 et, à partir de l'année suivante, il s'est prononcé pour le respect du droit des Algériens à l'autodétermination. Il a également averti contre l'exploitation du christianisme à des fins politiques, notamment par les tenants de l'Algérie française, tout en les invitant à faire la distinction entre le plan de l'action spirituelle et religieuse de celui de l'action politique », explique Mgr Teissier. L'engagement du cardinal a permis à de nombreux chrétiens de rester en Algérie. Cependant, cet engagement a fait naître un sentiment d'hostilité à son égard, notamment parmi la population européenne. « Comme responsable religieux, il lui fallait donner à sa communauté une direction pour qu'elle soit fidèle au message chrétien. Il aurait, bien sûr, voulu garder toute la confiance de la communauté, mais quand il lui a rappelé que nul n'avait le droit de porter atteinte à la dignité de la personne humain, il a buté sur une certaine animosité. » Que pensait Mgr Duval du fait que des églises aient été transformées en mosquées après l'indépendance ? « Après 1962, rétorque Mgr Teissier, les biens qui appartenaient à l'église ont été mis à la disposition de l'Etat algérien suivant les orientations du cardinal. Notre conviction est que les églises sont au service des croyants. Elles ne sont pas un but en soit. Quand, dans un quartier, il n'y a plus assez de chrétiens pour rendre l'église nécessaire, après entente avec les responsables de ce quartier, le cardinal accorde la cession. » L'archevêque a, par ailleurs, précisé que « le cardinal n'était pas attaché à défendre des bâtiments, mais il était beaucoup plus attaché à défendre des valeurs humaines, particulièrement celle de la relation fraternelle ». Si le cardinal Duval est toujours vivant, comment aurait-il réagi au fait que les autorités algériennes aient régi la pratique des cultes non-musulmans ? « Son enseignement sur le témoignage chrétien était un enseignement qui n'a cessé d'inviter au respect de la conscience des autres. Il s'est toujours élevé contre le prosélytisme. Il disait souvent que chacun d'entre nous doit témoigner de ses convictions et de son identité profonde dans le strict respect de l'autre. Ce mois-ci, nous avons repris dans le petit bulletin de la communauté chrétienne, tout l'enseignement du cardinal sur ce sujet afin de montrer la conception qu'il avait des relations entre chrétiens et musulmans. Chacun doit venir à l'autre avec ce qu'il a de meilleur. » Pour plus d'explications, l'actuel archevêque d'Alger dira : « Les années allant de 1962 à 1965 ont été le moment de la plus grande réflexion entre tous les représentants de l'église catholique à Rome. Le cardinal Duval a pu nous faire bénéficier de l'ouverture d'esprit que ce concile a donné aux communautés catholiques à travers le monde. Pour la première fois dans l'histoire, il y a eu un document positif reconnaissant la signification du message de l'Islam et tous les chrétiens doivent être respectueux de ceux qui vivaient de ce message. Lors de ce concile, un appel a été lancé pour prendre au sérieux tous les problèmes de justice internationale, en particulier dans les relations entre le premier monde et le tiers-monde. ». Mgr Teissier garde-t-il un secret, un souvenir du cardinal Duval ? « L'une de ses phrases les plus fortes est celle dans laquelle il dit : “je crois à la force révolutionnaire de l'amour fraternel.” Autrement dit, on doit changer le monde, non par la violence, la lâcheté ou la faiblesse, mais par la force de l'amour fraternel. »