A El Aurassi et dans les couloirs des officines, s'est joué un énième mélodrame du FLN. Les proches du Président, avec à leur tête le frère cadet Saïd, imposent leur candidat au poste de SG, dans la tradition putschiste du vieux parti. C'est là la fatalité d'un parti voué à jouer son rôle d'appareil d'Etat, cloîtré dans la «maison de l'obéissance» et interdit de poursuivre sa longue marche vers la maturité… et l'autonomie. «Vous allez le payer très cher», menaçait il y a dix ans Yazid Zerhouni, le ministre de l'Intérieur de l'époque, un des fidèles du secrétaire général du FLN, Ali Benflis, qui mena le parti hors de la «maison de l'obéissance». Mais il semble que ce ne sont pas seulement les benflissistes, ses alliés et ses amis même hors du parti, qui ont effectivement payé cher le crime de lèse-majesté, en ambitionnant de déboulonner Bouteflika en s'appuyant sur le FLN. «Depuis cette guerre fratricide entre les légalistes de Benflis et les “redresseurs“ type Si Affif et compagnie, le parti FLN n'a plus jamais retrouvé sa sérénité, malgré tous les semblants de réconciliation», témoigne un cadre du parti, ajoutant : «Le feu couvait toujours sous la braise et ce ne sont pas les agissements de Belkhadem qui ont arrangé les choses, au contraire.» «La pacification a en partie échoué», a expliqué un ex-ministre FLN, car, à ses yeux, «cette opération d'unification des rangs a été imposée de l'extérieur, le FLN étant tombé depuis longtemps dans le piège d'un parti-appareil, une machine électorale, un appendice stable d'un système verrouillé par le chef de l'Etat et du FLN». Rembobinage des séquences : 2003-2004, le chef de gouvernement, Ali Benflis, patron d'un FLN qu'il voulait rénové et débarrassé des «dinosaures» de l'appareil, subit un violent mouvement de «redressement» : en fait, une offensive du président Bouteflika, fou de rage de voir «son» parti récupéré par celui qui ose se présenter comme challenger lors de la présidentielle de 2004. Interférences Et le mot «violent» est loin d'être un euphémisme. On se rappellera les attaques aux dobermans menées par Si Affif contre la mouhafadha de Mostaganem, ou celles à coups de barres de fer à la Safex (Alger) lors d'une réunion des redresseurs et Amar Tou fuyant sous les jets de pierres, ou encore la violence de cette «justice de la nuit», lorsque la chambre administrative de la cour d'Alger s'est prononcée, très tard la nuit d'un janvier 2004, pour l'invalidation du huitième congrès, gelant le parti et handicapant son candidat Benflis. «La crise du FLN, en dépit de nombreuses apparences, n'est pas due à des divergences internes au parti. Elle est la conséquence de pratiques extérieures dictées par des cercles qui refusent un véritable multipartisme et les changements qu'il implique dans le rapport du FLN au pouvoir. Les tentatives de faire ramener le FLN à la ‘‘maison de l'obéissance“ n'ont pas cessé depuis le passage formel au pluralisme partisan, mais elles se sont accrues et intensifiées depuis le début de l'année 1996», avait écrit Abdelhamid Mehri, ex-SG du FLN, victime d'un «coup d'Etat scientifique» en 1996 fomenté dans les chambres de l'hôtel El Djazaïr (ex-Saint Georges), à Alger, par un groupe de cadres, dont Abderrahmane Belayat, un des acteurs de l'actuel bras de fer. «Ce qu'on oublie, c'est que la fracture et les dissensions ne remontent pas seulement à cet épisode Benflis. Il y a eu trop de coups d'Etat et d'interférences directes du pouvoir.Rappelons ici les mises à l'écart de Mehri, puis même de Boualem Benhamouda en 2001. Benhamouda qui ne mâchait pas ses mots contre Bouteflika, après l'avoir soutenu en 1999.» Catastrophe En 2004, appuyant la candidature de Ali Benflis, Benhamouda lançait en public : «Le président de la République donne l'impression qu'il n'est revenu que pour s'illustrer sur la scène internationale et rattraper ce qu'il avait raté comme voyages !» «La plus grande catastrophe politique du Président actuel : avoir cassé le FLN pour ses propres intérêts», souligne un cadre du parti. Bouteflika, intronisé président d'honneur du FLN, entretient toujours une relation obsessionnelle avec le vieux parti, comme il le fait avec les militaires en se proclamant ministre de la Défense. «Vouloir être partout, jalouser les centres du pouvoir, c'est la logique du Président. Heureusement qu'il n'a pas non plus pris le poste du directeur du renseignement et de la sécurité», ironise un ancien officier. Car si le FLN n'a pas de divisions blindées ni d'influents généraux au regard qui fait peur, sa force est ailleurs. «Le clan Bouteflika vient de verrouiller le parti en vue de 2014. Il s'offre la possibilité de peser sur le choix du prochain candidat à la présidentielle, analyse un membre du comité central. Cette offensive sur le parti annonce la désignation d'un candidat du consensus pour 2014, mais elle peut également signifier le désir du Président de rempiler pour deux ans. Avec un FLN aux ordres, le Président et son frère ont toutes les cartes en main et pourront choisir l'option qui leur paraît la mieux servir leurs intérêts. Par ailleurs, il est aussi évident que la nomination d'un proche de Bouteflika à la tête du premier parti en Algérie est une assurance contre la candidature de Benflis. L'ancien candidat à la présidentielle voit s'envoler la possibilité de voir le parti cautionner sa candidature.» Sans précaution de langage, un proche de la présidence de la République tranche : «Saadani est le plus fidèle des cadres du FLN à Bouteflika.» A Bouteflika ou à son cercle, ses proches ? «Allah Yssehel» Le cadre de la Présidence ne le précise pas et ajoute : «Quand le Président est arrivé à Alger, il a ordonné la tenue de la réunion du comité central… pour bien évidemment désigner Saadani au poste de SG, c'est ce que préfère la Présidence comme option.» Une autre source au sommet de l'Etat révèle pour sa part : «Quand la demande d'autorisation de la tenue de la réunion du CC a été déposée au niveau du ministère de l'Intérieur par le groupe de Boumehdi il y a un mois, le Président a été mis au courant ; il a juste dit : ‘‘Allah yssehel (bon vent)“.» La présidence de la République donne l'impression de faire cavalier seul, mais qu'en est-il alors de l'autre pôle du pouvoir, le Département du renseignement et de la sécurité et son patron ? «Le DRS ? Il observe juste au cas où ça dérape. Le patron du DRS ne veut pas de chaos, de guerre intestine ou de troubles à l'ordre public liés à cette situation. Les tenants du statu quo, au bureau politique, prétendaient devant leurs interlocuteurs du DRS que la tenue de la réunion du CC allait faire éclater le parti. Mais maintenant que les choses avancent, le DRS n'est qu'un observateur et veut juste prévenir des dérapages violents», atteste un haut cadre de l'Etat. Quorum Ce n'est pas l'avis de cet ancien ministre : «Le DRS qui donne l'impression de laisser le clan du Président agir à sa guise, mise sur le pourrissement de la situation. Car il sait qu'un vent de contestation va avoir lieu au lendemain de la désignation de Saadani. Il faut s'attendre à des troubles au sein du parti et dans certaines mouhafadhas.» Dans tous les cas, le plus grand perdant de cet énième feuilleton de la vie troublée du vieux parti reste le… FLN. «Il est malheureux que le salut soit venu du ministère de l'Intérieur et non du parti, regrette un cadre du comité central et ancien élu. Pourquoi l'administration octroie l'autorisation de réunir le CC à Boumehdi, président d'une session dépassée dans le temps, et ignore superbement le bureau politique ? Il est vrai que les calculs sont bons pour une réunion à El Aurassi : le quorum sera atteint, car les fidèles de Belkhadem, qui n'a perdu son poste qu'avec un écart de quatre voix, seront là, ainsi que les supporters de Boumehdi, il faudra y ajouter ceux qui ont suivi Belayat et qui les a déçus parce qu'ils ont vu qu'il n'a rien pu faire. Ne reste que le groupe de Abada et Goudjil qui est out pour le moment. Ça n'a plus rien à voir avec la légitimité des uns ou des autres, une décision administrative a tranché le débat, selon des calculs politiques bien précis, point à la ligne.» «Ce qui est grave aussi, c'est que depuis le départ de Belkhadem (en janvier dernier), nous n'avons assisté qu'à des guerres des mots, des insultes et des accusations échangées. Où est le débat d'idées ? Le projet politique de la fameuse première force politique du pays ? Rien ! On parle plutôt de grosse corruption et d'argent sale, on tente de vérifier si réellement un mariage bloque la location de la salle de l'hôtel El Riadh par le camp de Belayat !», poursuit le membre du CC. «Le FLN ne devra plus accepter d'accomplir ses réalisations sans contrepartie politique, et devenir ainsi une sorte de vitrine du pouvoir.» Devinez qui est l'auteur de cette déclaration à El Watan Week-end ? Saadani lui-même.