Colère citoyenne, litige foncier et musellement de la société civile sur fond de polémique sur la protection de l'environnement l L'affaire dite de la forêt de Canastel 2, à Oran, n'en finit pas de se corser l Une association a d'ailleurs été suspendue pour taire toute voix discordante. Il est hors de question qu'on les laisse détruire cette forêt. Vous voyez ces arbres arrachés, ce sont des arbres centenaires qui ont vu grandir tous les enfants de Canastel et d'Oran.» L'homme, la quarantaine, agite les mains et s'offusque davantage. «C'est un véritable massacre qui se joue ici», lâche-t-il en tentant de relever un des arbres arrachés. Autour de lui, d'autres arbres centenaires intacts règnent encore sur cette étendue de près d'une vingtaine d'hectares appartenant au patrimoine forestier du secteur urbain El Menzeh, ex-Canastel, de l'Est oranais. «Il faut que les associations de protection de l'environnement fassent quelque chose et vite, deux hectares ont déjà été détruits !», ajoute-t-il encore sous l'œil scrutateur du caméraman. La vidéo (il y en a plusieurs du genre) fait le tour de la Toile depuis sa mise en ligne le 17 septembre 2012 et son appel semble avoir été entendu. Une association de protection de l'environnement a justement été créée pour protéger la forêt de Canastel, le 30 mai 2013. Constituée d'habitants de Canastel, l'association en question, intitulée Association des résidents de Canastel (ARC) a fait de la protection de cette forêt son cheval de bataille depuis. Pour l'arrêt immédiat des travaux et la destruction des arbres, l'ARC n'a pas hésité à déposer des plaintes en référé contre l'APC d'Oran et les propriétaires des lots de terrain, objet du litige. «C'est un projet de construction illicite dans un domaine forestier censé être protégé, nous avons donc convoqué la justice pour protéger cet espace considéré par les Oranais comme le poumon de la ville», explique M. Bouridène, habitant de Canastel et président de l'ARC. Suite à ses dépôts de plainte, l'ARC obtient l'arrêt des travaux avant d'apprendre, le 14 juillet 2013, la suspension de ses activités pour cause «d'ingérence dans les affaires internes du pays». Suspension de l'association L'administration locale n'a pas manqué de lui couper l'herbe sous le pied en convoquant l'article 39 de la nouvelle loi sur les associations qui dispose qu'«il est procédé à la suspension d'activité de l'association ou à sa dissolution en cas d'ingérence dans les affaires intérieures du pays ou d'atteinte à la souveraineté nationale». La dénonciation n'a pas tardé à tomber. Ceux-là mêmes qui étaient scandalisés par l'adoption le 13 décembre 2011 par le Parlement d'une telle loi répressive se sont élevés contre son application (associations, ligue de défense des droits de l'homme). Selon Me Sid Ali Boudiaf, juriste, contacté par nos soins : «L'ARC a défendu un intérêt relatif aux principes de l'association qui est la protection de l'environnement, la Constitution algérienne garantit au citoyen le droit de se doter d'institutions fondées sur la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques et qui réalisent la justice sociale, l'égalité et la liberté de chacun et de tous.» Le wali d'Oran n'a pas manqué de réagir. «L'association a entamé une action en justice contre la wilaya pour arrêter un projet d'utilité publique sans respecter la loi sur les associations. Le DRAG a suspendu l'association pour une durée de six mois en attendant la décision définitive de la justice», a-t-il expliqué mercredi dernier à un confrère de Liberté. Une procédure que le juriste, Me Sid Ali Boudiaf, a du mal à comprendre : «Les libertés d'expression, d'association et de réunion sont garanties au citoyen pour défendre un intérêt commun.» Pour lui, la procédure est loin de respecter la loi étant donné que les autorités ont procédé à la suspension de l'association sans notifier la décision aux parties concernées, alors que la loi l'oblige. Manœuvre judiciaire ? L'affaire remonte à loin et n'en est pas à son premier rebondissement. Le wali d'Oran avait publié un arrêté daté du 19 août 2006, dont El Watan détient une copie, garantissant «la protection permanente du site de la forêt de Canastel contre toute atteinte et l'interdiction de toute installation d'équipement ou d'habitat». La polémique s'est tassée et la forêt a pu être préservée à cette époque. Seulement, la même problématique d'exploitation de cette assiette a refait surface en 2012 lorsque les premiers arbres ont été rasés et que la grogne des habitants a repris. D'autant que la wilaya s'est ravisée depuis. Pour Sid Ali Boudiaf, la suspension de l'association pourrait relever de la manipulation. «Le jugement du tribunal administratif d'Oran datant du 7 juillet 2013, (dont El Watan détient une copie soumise à Me Boudiaf pour analyse, ndlr) a ordonné l'arrêt des travaux effectués à la demande de l'ARC. A travers la suspension de l'association, l'exécuteur (l'association, ndlr) perd sa qualité aux yeux de la loi». En clair, selon lui, la suspension de l'association impliquerait de fait la suspension de l'arrêt des travaux. Le litige se corse, d'autant que les propriétaires des lots de terrain en question se plaignent d'injustice. «C'est une grave atteinte au droit de la propriété», s'inquiétaient-ils il y a quelques jours dans les colonnes d'El Watan. L'affaire semble complexe et n'a pas encore livré tous ses secrets. Le tribunal administratif d'Oran statuera sur le gel de l'association aujourd'hui même. Ce pourquoi, les habitants de Canastel et plusieurs associations solidaires (RAJ, Bahia, Fahd, etc.) ont organisé dans la journée d'hier un pique-nique symbolique dans la forêt. Le dernier peut-être.