A six mois de l'élection présidentielle, l'Algérie est enfermée, par la ruse des tenants du pouvoir, dans une incertitude politique périlleuse. Le pays baigne dans un flou total. L'épais brouillard qui couvre le ciel de la «République» rend difficile toute visibilité alors que l'état de délabrement avancé du pays exige des décideurs un sursaut de lucidité pour lui éviter de sombrer davantage dans l'abîme. Mais force est de constater que les gérontocrates au pouvoir s'emploient avec obstination à le maintenir dans un statu quo mortifère. C'est le seul cap qu'ils semblent avoir fixé au pays. Les manœuvres dilatoires au sein du sérail pour rendre impossible toute perspective démocratique et les tergiversations au plan de la gestion économique ne font qu'aggraver une situation déjà obscure. L'agitation du Premier ministre peine à cacher la déliquescence qui gagne les institutions. En brisant les reins au corps social, en piétinant les lois et en instrumentalisant la justice et l'administration, le pouvoir a fini par annihiler la notion d'Etat déjà fragilisée par les attitudes bonapartistes de Bouteflika. Le pays est dans un état d'urgence politique et sociale. Les apparitions à intervalles réguliers, ces derniers temps, du chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika, tournent à la mise en scène tragicomique. Le spectacle est affligeant. Sa convalescence qui se prolonge indéfiniment plombe la vie politique et le pays est suspendu à son bulletin de santé. Pendant ce temps, les décideurs rompus aux méthodes du secret élaborent, dans l'ombre et au mépris des lois qu'eux-mêmes ont instaurées, des scénarios qu'ils imposeront ensuite par la force de la propagande à la société. Une société aux ressorts cassés par des années de violence et de gestion autoritaire et à qui on a retiré le droit d'espérer. En désespoir de cause, le seul rêve qui hante la jeunesse du pays est de s'exiler. En face, une classe politique amorphe. Elle-même désabusée, elle n'arrive toujours pas à construire un rapport de force dans et avec la société. A coups de matraque et de coups tordus, l'opposition démocratique a fini par céder le pas devant l'autoritarisme. Le verrouillage politique a fini par achever ses capacités de résistance. Les rares voix porteuses d'espoir – éparpillées – peinent à se faire entendre dans un environnement politique de plus en plus bruyant et confus. Les figures dites de poids, aspirant à gouverner le pays, refusent de faire de la politique. Elles sont suspendues à un appel d'en haut qui ne vient pas. Pourtant, la panne historique dans laquelle est bloqué le pays exige d'elles une re-mobilisation générale, en s'efforçant de regrouper les forces du changement – elles existent partout – autour d'un projet, d'un compromis historique pouvant ouvrir à l'Algérie des perspectives meilleures. Continuer à s'enliser dans l'errance et se perdre dans des processus électoraux vidés de leur substance ne sert qu'à ajourner la rupture avec l'ordre autoritaire imposé par la violence aux Algériens depuis l'indépendance.