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Enseignement et recherche en Algérie : Contraintes et pesanteurs
Publié dans El Watan le 21 - 07 - 2010

Maints constats ont été dressés par des chercheurs nationaux sur l'état de l'enseignement et de la recherche. Beaucoup ont écrit et dit leurs inquiétudes, angoisses et révoltes contre les conditions lamentables dans lesquelles végètent, s'étiolent ou se dissipent en vain les ressources humaines du pays en général, et celles des universités et des centres de recherche en particulier.
Le constat est connu et fait consensus, même parmi la majorité « silencieuse » des enseignants : rien ne va, rien ne marche comme il faut. C'est la sinistrose. C'est le découragement, qui conduit à cette fatalité qui se traduit chez beaucoup par la passivité, l'indifférence et le repli frileux sur soi dans l'attente de l'avènement de jours meilleurs, radieux, qui viendraient par la volonté de ceux d'en « haut » : les décideurs politiques (ashâb al qârâr). Mais d'où vient donc cet esprit de résignation et de démission intellectuelle et morale qui fait le lit du conservatisme et de la régression ? De plusieurs causes dont je vais essayer d'expliquer la genèse.
Les facteurs de blocage
J'en vois deux : le politique et l'administratif. Deux facteurs constitutifs de l'ankylose dont souffrent l'enseignement et la recherche en Algérie. Ils découlent eux-mêmes d'un autre facteur d'ordre général : la crise de la société politique et civile algériennes. Ces facteurs étant identifiés, je pense que la crise profonde que vit l'université algérienne depuis plus de deux décennies ne peut être saisie en dehors du contexte global, politique et social, de l'Etat et de la société. Or, le malaise de l'université n'est que le reflet fidèle de la crise que traversent ces deux entités à l' identité fort perturbée par suite de l'absence d'un projet consensuel et unificateur. La décennie noire et son cortège de destructions et de larmes n'ont fait que renforcer les sentiments de méfiance et de défiance mutuelle, et l'Etat, pour restaurer la confiance perdue et rétablir la paix civile mise à mal par un terrorisme sanguinaire et innommable, s'est hâté de renouer avec ses réflexes autoritaires, de type bonapartiste, en décrétant l'état d'urgence, tout en donnant à l'administration les pleins pouvoirs pour gérer la société civile comme bon lui semble.
Le politique
Le premier obstacle, ce me semble, qui se dresse sur la voie du renouveau intellectuel, du progrès de la conscience, voire même de la réconciliation nationale, vraie et durable, c'est bien le politique. En voulant tout régenter, tout contrôler presque sans partage tous les aspects de la vie éducative, culturelle, sociale, artistique et économique, il a fini par ôter à tous les acteurs anticonformistes de la société civile toute velléité d'indépendance, d'esprit d'initiative, et de liberté d'action pour le bien commun. Ce qu'il a enlevé à la société civile, il l'a remis entre les mains de l'administration, et c'est ce transfert forcé, pourrait-on dire, de l'esprit d'initiative de la société civile vers cette dernière qui a fait naître les blocages, les contraintes et les pesanteurs qui n'épargnent aucun secteur économique et social du pays. Le politique dont il est question est un personnage collectif, abstrait et anonyme à la fois, et pourtant public et identifiable tant il s'incarne dans le pouvoir d'Etat et se manifeste à travers ses porte-voix. Ce personnage n'est pas l'Etat, mais son « commis ». Mais un commis qui, par sa représentation faussée et fausse de l'Etat dont le rôle, la dignité et la « noblesse » le surplombent, de facto et de jure, apparaît à l'examen comme un mauvais gestionnaire de la chose publique. Car la politique qu'il entend promouvoir au service et au nom de l'Etat s'avère désastreuse en ce qu'elle sacrifie la liberté d'entreprendre et d'agir des citoyens sur l'autel de l'administration dont l'omnipotence se le dispute à l'incurie.
L'administratif
Instrument docile du politique, l'administratif gère par procuration tout ce que lui ordonne ce dernier. En l'occurrence, l'université et la recherche scientifique en Algérie sont entièrement dépendantes de ce dernier personnage qui n'admet liberté académique et esprit critique que dans les limites prescrites par le politique. La circulaire datée du 18 mai 2010 envoyée par le secrétaire général du Mesrs et ordonnant aux chefs d'établissements universitaires d'exiger dorénavant que toute participation à des conférences ou colloques se déroulant à l'étranger soit subordonnée à l'autorisation préalable du MESRS, témoigne si besoin est de l'inféodation du scientifique au politique, et par suite du rôle d'exécutant dévolu à l'administratif. Si ce dernier exécute sans broncher la volonté du politique, l'universitaire, lui, est contraint de se soumettre à l'autorité de l'administratif et de ne pas la contrecarrer, même sur le plan scientifique, sinon il serait mal noté, ce qui n'arrangerait pas l'avancement de sa carrière. Un témoignage suffit à illustrer ce monde cul-par-dessus tête : mon chef de département, de grade de maître-assistant, décide d'apprécier et d'évaluer mes compétences scientifiques, moi qui suis docteur d'Etat et auteur de plusieurs ouvrages et de publications d'une centaine d'articles dans des revues internationales, dont certaines sont prestigieuses. Il me tend la fiche de notation et d'appréciation. Je lis : compétences scientifiques, 1,2 ; conduite, 1,2 ; l'expérience d'enseignement, 1,2 etc. Au total, il me gratifie d'une note passable : 8/10 ! Je m'enquiers autour de moi, et je découvre avec surprise que tous les maîtres assistants gravitant autour de ce chef de département se sont vus attribuer 10/10 ! Cet exemple, mais il y en a des centaines d'autres, que l'on pourrait trouver, montre combien est grande l'emprise de l'administratif sur le scientifique, et comment le premier tend autant par son ignorance obtuse que par le pouvoir d'arbitraire dont il bénéficie à promouvoir la médiocrité au détriment de la compétence.
L'universitaire et l'université
Etant donné ce qui précède, il est tout naturel que l'universitaire et l'université soient prisonniers du système politico- administratif, et que leur drame soit celui de la société tout entière. Sinistrée comme tous les autres secteurs de la vie économique, politique, sociale et culturelle, l'université végète et s'étiole à l'ombre de la loi d'airain d'un pouvoir politique grippé comme une vieille machine, se refusant à toute refonte interne et, crispé sur ses certitudes absurdes et sur ses privilèges, il préfère maintenir à perpétuité le statu quo ante, quitte à reporter la construction ou le renforcement de l'Etat de droit, juste et pérenne, aux calendes grecques. Obsolète comme la langue de bois dont il n'arrive pas à se départir malgré l'avènement du pluralisme, il ne sait communiquer et se faire entendre par la société civile et les divers acteurs sociaux que par « la matraque » ou la menace de sanction et de punition collective (relisez les déclarations menaçantes de Benbouzid, l'inamovible ministre de l'Education nationale sur les grévistes…) et vous comprendrez les raisons de l'involution de ce régime qui exprime, pour emprunter une jolie formule appliquée par Karl Marx à la France bonapartiste : « L'hétéronomie de la nation, en opposition à son autonomie ».
La responsabilité morale de la société civile et de ses « universitaires »…
Mais à force d'axer nos critiques sur ce régime qui ne fait certes point l'unanimité, et de lui imputer tous les maux que nous vivons, ne risque-t-on pas de blanchir et de disculper la société civile, et surtout de décharger les universitaires, pour ne pas dire « les intellectuels » de toute responsabilité politique, éthique et morale par rapport à ces blocages ? N'est-il pas facile de charger « le pouvoir » de tous les maux dont nous souffrons, de lui endosser le morne désespoir, l'effroyable sentiment de découragement et d'impuissance qui nous gagnent ? Ne faut-il pas incriminer aussi la part de responsabilité qui revient à la société dans le renforcement et le maintien de ce régime politique dont les membres inamovibles se frottent les mains, et se réjouissant à la vue d'une société que ne motivent ou ne mobilisent que les grands spectacles (le foot), et point l'engagement citoyen que traduisent l'action et l'adhésion à un idéal social utile : syndical, social, politique et culturel… Un peuple qu'on amuse de la sorte par des divertissements de ce genre, et par des spectacles alibis, et qui les accepte tout en étant presque conscient qu'il se fait idéologiquement manipuler, ne saurait absolument pas s'élever au niveau de la conscience citoyenne qui suppose implication et engagement en vue de contribuer à la transformation de sa propre société…
De la passion pour les lieux communs au détriment de la politique au sens noble
La plupart de nos universitaires ne sont pas en reste. A chaque rencontre de l'équipe nationale avec une équipe étrangère, ils manquent, eux et leurs étudiants cours et TD, mais lorsque les bombardements sionistes font rage sur la Palestine et que simultanément les universitaires et les étudiants de toute l' Europe se mettent à manifester en masse pour dénoncer ces crimes de guerre, nos étudiants, eux, viennent au même moment, remplir, comme si de rien n'était, de leur présence nonchalante et presque blasée parvis et amphithéâtres… Comme on le voit, le pouvoir n'est pas le seul à mettre en cause dans cette régression qui affecte presque tous les secteurs de la vie sociale et économique. La société et ses « élites » d'en bas en ont leur part également. Le pouvoir qu'ils critiquent ou blâment, ils le renforcent sans qu'ils le sachent par leur propre inertie, ou par les alternatives ésotériques qu'ils proposent en échange…
Du pouvoir et de l'alternative…
Or, la société civile tout comme les « universitaires » dont ils ne sont qu'une des composantes de cette dernière, ne font rien pour faire « bouger » les choses et se contentent le plus souvent à « dénigrer » le pouvoir qu'à agir de manière positive, intelligente et concertée pour l'aider à faire son propre aggiornamento. Les critiques et les « dénigrements » qu'on lui adresse de manière constante, si fondés et si légitimes qu'ils puissent être, ne suffisent pas à l'incliner d'un iota dans le sens d'une large ouverture sur la société, mais le conduisent bien plutôt à se raidir dans ses positions et orientations politiques qu'il considère par anticipation comme justes et non susceptibles de « marchandage » ou de solutions de remplacement. Il ne pourra prendre conscience de son immobilisme funeste et acceptera de s'assouplir que si les divers secteurs de la vie sociale s'organisaient de manière autonome et exigeaient par des actions renouvelées et constantes, mais pacifiques et bien canalisées, le changement souhaité par le plus grand nombre. Or, cette société civile se révèle à présent amorphe, désorganisée et atomisée, au point qu'elle est incapable de secouer sa propre léthargie devenue quasi-routine. Elle ne propose de ce fait comme alternative au régime, ou si l'on veut, au « pouvoir », rien qui puisse amener celui-ci à reconsidérer ses positions initiales ou à se départir de ses certitudes d'être irremplaçable… Quant aux partis politiques « d'opposition », s'ils ne sont pas dans le pouvoir dont ils renforcent l'omnipotence, ils demeurent en majorité ravalés au rang de « partis » marionnettes, et ne représentant qu'eux-mêmes, et guère « la société civile » qui les ignore. De ce qui vient d'être dit, on peut conclure que le fiasco de l'université en matière d'enseignement et de recherche ne saurait être saisi que rapporté au contexte global de la société dans lequel s'insère cette université qui n'en finit pas de soulever une foule de questions relatives à ses performancess …


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