Entre un président d'honneur, Ali Yahia Abdennour, qui dézingue à-tout va ses successeurs, et des militants qui ont perdu toutes leurs illusions, la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme traverse sa plus grave crise, depuis sa création dans les années 1980. «Le vieux a décidé de casser son jouet.» Ali, ancien militant des droits de l'homme, connaît bien la maison. Il a accompagné, le «vieux», comme l'appelle affectueusement les cadres de l'organisation, dès les premières tentatives en 1985 pour la mise en place de la LADDH. Il était encore là, quand le pouvoir avait décidé de jeter en prison Ali Yahia Abdennour et tenter de court-circuiter l'organisation en mettant en place une autre organisation des droits de l'homme sous la présidence de Me Miloud Brahimi. Il a vécu la pression et les menaces, quand la Ligue avait dénoncé l'arrêt du processus électoral, en 1992. Aujourd'hui, il craint pour l'avenir de l'organisation de défense des droits de l'homme. Il ne comprend pas l'acharnement de son président d'honneur, à vouloir à tout prix décrédibiliser l'organisation. Décryptage du malaise qui secoue la LADDH. FFS Ce ne sont pas des accusations, mais un réquisitoire. Dans une longue contribution publiée par El Watan cette semaine, Me Ali Yahia Abdennour accuse nommément l'ancien président de la Ligue et aujourd'hui député FFS, Mustapha Bouchachi, et ses principaux collaborateurs, d'avoir fait de la Ligue «une section du FFS». Pourtant, entre le parti d'Aït Ahmed et la Ligue des droits de l'homme, une longue histoire commune lie le parti à l'organisation. En outre, beaucoup des sympathisants du FFS, activaient au sein de l'organisation des droits de l'homme, sans que cela pose problème. «C'est un mauvais procès d'intention que lance Ali Yahia Abdennour à Bouchachi, estime un militant sous le couvert de l'anonymat. Le FFS est à l'origine de la création de la Ligue dans les années 1980. D'où l'empressement du pouvoir de l'époque de refuser l'agrément à l'organisation. Il faut également rappeler que quand Ali Yahia Abdennour avait décidé d'éjecter Hocine Zehouane de la présidence, il avait soutenu en coulisses la candidature de Mustapha Bouchachi.» En réalité, beaucoup de militants de la LADDH estiment que les accusations à l'encontre du député du FFS, tombent au moment où le plus vieux parti d'opposition a décidé de normaliser ses relations avec le pouvoir. «Bouchachi (…) a suivi le comportement du FFS à l'encontre du pouvoir, à savoir plus de d'opposition systématique et stérile, mais plutôt intégration et dépendance», écrit Ali Yahia Abdennour dans son article. Mais est-ce l'unique raison pour justifier ses attaques ? «Ali Yahia Abdennour n'a pas digéré le manque d'empressement de Bouchachi de soutenir à l'époque, l'initiative de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNND), dont il était un membre actif, rappelle un militant. En outre, Il a beaucoup joué sur des accointances de circonstances qu'il pratiquait tantôt avec le FFS, tantôt avec le RCD. Aujourd'hui, il a décidé de lâcher le FFS au profit du Rassemblement pour la culture et la démocratie.» Aux aguets «La Ligue ne propose plus grand-chose, reconnaît Mourad, un militant de la LADDH. Depuis ces dernières années, elle ronronne et ne prend plus d'initiatives. En plus, les dernières attaques du président d'honneur vont encore compliquer la tâche et pousser la Ligue vers plus d'immobilisme.» Absence de stratégie, incompétence, manque de professionnalisme, problèmes de structures…, les griefs sont nombreux à l'encontre de la LADDH. Elle paye le départ de ses nombreux cadres, découragés par les pratiques qui ont cours au sein de l'organisation et par les statuts qui accordent des pouvoirs exorbitants au président. «Le président de la Ligue nomme les membres du comité directeur et leur désignent les tâches à accomplir. C'est comme si les cadres de la LADDH n'étaient que de simples exécutants», a indiqué un militant. Remplacés au pied levé par de «nouveaux militants sans compétence et qui ne sont pas imprégnés de l'esprit de combat et de sacrifice», l'organisation pèche par son absence sur le terrain. Elle est devenue inaudible, aphone. «La Ligue est connu pour faire barrage aux jeunes. Les meilleurs ont claqué la porte, résume Ahmed, enseignant et ancien cadre de la LADDH. Aujourd'hui dans le combat qui oppose le président Noureddine Benissad à certains présidents de section, et membres du comité directeur, la situation a empirée et pris une tournure dangereuse.» Pour illustrer cette situation, une histoire circule au sein des membres de la Ligue. Lors d'une grève de la faim entamée par des travailleurs à Béchar, l'un des grévistes contacte le responsable de la section de la Ligue d'une autre wilaya pour demander de l'aide, en expliquant que le nouveau président de la section locale, professeur d'université, passait tous les jours en voiture devant eux sans jamais s'arrêter. «La Ligue n'accomplit plus grand-chose, estime Hassen, un autre membre de la LADDH. Même sur la situation des droits de l'homme en Algérie, elle n'a rien publié, alors qu'il y a des choses à dire, comme sur les cas de torture. D'ailleurs, elle a décidé d'arrêter la publication de Errabita qui était la revue de la Ligue. Il ne lui reste plus que son site internet.» La situation actuelle de la LADDH aiguise les appétits du Syndicat national autonome des personnels de l'administration publique, Snapap. La décision de Noureddine Benissad de tenir le congrès de la LADDH, avant la fin de l'année pour se conformer à la nouvelle loi sur les associations, a provoqué l'ire du président d'honneur qui récuse la démarche et prône la «clandestinité» pour échapper à cette procédure, si la nécessité se faisait ressentir. Pour les syndicalistes du Snapap, qui ne penchent pas du côté du pouvoir, ils tentent de «fomenter un coup d'Etat à l'intérieur de la Ligue» pour empêcher que le pouvoir ne mette la main sur l'organisation et la mette au pas. «Il y a une frange des syndicalistes du Snapap qui veulent relancer la LADDH et éviter qu'elle ne devienne une coquille vide, analyse Leïla, une militante. Ils voient d'un très mauvais œil, la normalisation avec le pouvoir, décidée par le président actuel de la Ligue, Noureddine Benissad. Rabibochage Et si les problèmes de la Ligue pouvaient aboutir à une reconfiguration des organisations de défense des droits de l'homme en Algérie ? Nous avons tenté à plusieurs reprises de joindre Noureddine Benissad et Mustapha Bouchachi. En vain. C'est l'espoir que certains anciens membres de la Ligue formulent ouvertement. Pour beaucoup, la scission est inévitable et le rabibochage entre Noureddine Benissad et ceux qui le contexte aujourd'hui, est impossible. «On espère que cela puisse aboutir à une nouvelle reconfiguration de la lutte pour les droits de l'homme en Algérie, souhaite un membre actuel de la Ligue sous le couvert de l'anonymat. Car, la scission de la Ligue semble inévitable et on estime que la seule façon de continuer le combat est de créer de nouvelles structures.» Un vœu qu'il va être difficile à mettre en pratique avec la nouvelle loi sur les associations, qui permet à l'Etat une mainmise totale sur le mouvement associatif.