Vrais ou faux acteurs d'une rencontre destinée à faire miroiter l'existence d'un dialogue économique et social, le patronat et l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA), suscitent des questionnements quant à leur rôle réel au sein de la tripartite. L'UGTA, jusque-là représentant exclusif des travailleurs à cette rencontre, n'a jamais pu arracher quoi que ce soit au profit des travailleurs, à en croire les syndicats autonomes. «Depuis le temps qu'on demande l'abrogation de l'article 87 bis et jusqu'à aujourd'hui, la centrale syndicale n'a rien fait pour que cela aboutisse», remarque un syndicaliste autonome. Depuis 2000, sept réunions tripartites ont été tenues avec des résultats mitigés, à l'exception du relèvement du SNMG qui a triplé durant cette période. «Le relèvement du SNMG, c'est le gouvernement qui en a fixé le niveau, ainsi que la date de son annonce», relativise Rachid Malaoui, président du syndicat national autonome du personnel de l'administration publique (SNAPAP). Par ailleurs, les principales augmentations de salaires arrachées ces dernières années l'ont été à la suite de mouvements de protestation et de grève menés par des syndicats autonomes. Quant au patronat, qui s'est à chaque fois présenté en rang dispersé, il constate malgré lui qu'en dépit des propositions qui sont faites et des engagements pris lors des différentes tripartites, les vraies décisions engageant le monde de l'entreprise sont prises ailleurs, par le gouvernement, dans des lois de finances complémentaires, par décret ou par instruction ministérielle. Les décisions ravageuses de la loi de finances complémentaires de 2009 sont là pour en témoigner. De Belkhadem à Sellal, en passant par Ouyahia, les changements à la tête du gouvernement n'ont aucunement changé la donne. A titre d'exemple, quelque 200 mesures en faveur du monde économique ont été prises lors de la dernière tripartite de 2011 sous l'ère Ouyahia. A l'arrivée de Sellal, à peine «30% de ces mesures ont été concrétisées», selon le patronat. Abdelkader Taïeb Ezzraïmi, PDG du groupe SIM le reconnaît : «nous n'avons pas touché du doigt ne serait est-ce qu'un petit peu de ce qui a été annoncé lors de toutes ces rencontres. Il n'y a pas eu de résultats jusqu'à aujourd'hui.» Pourtant, cela n'empêche pas les principales organisations patronales à poursuivre cette forme de dialogue, en témoignant à chaque fois de leur soutien aux gouvernements en place, et ce, quel que soit le chef de l'exécutif. «Au fond, ils sont tous d'accord. Ils jouent des rôles, le gouvernement fait semblant et eux aussi. Il ne faut pas oublier qu'ils ne sont pas représentatifs et ne rendent compte à personne», remarque un chef d'entreprise, membre d'une organisation patronale invitée à la tripartite du 3 octobre. Effets d'annonce Pour les représentants des syndicats autonomes, conviés pour la première fois à la tripartite, semble-t-il, «sans participer aux débats» qui s'y dérouleront, cette énième rencontre sera pareille que les précédentes. Le gouvernement invite «ceux qui ne risquent pas de lui poser problème, ceux qui le soutiennent et non ceux qui s'opposent à lui», soutient Mohamed Bouamrirene, syndicaliste autonome. Meziane Meriane, coordinateur du Syndicat national autonome des professeurs d'enseignement secondaire et technique estime qu'il s'agit davantage «de remplir un calendrier». Le syndicat et le patronat «ne participent pas aux débats. Ils sont là beaucoup plus pour entériner une feuille de route bien établie et parapher des décisions prises en dehors de la tripartite. Il n'y a pas de débats contradictoires ni acharnement pour défendre un dossier.» «Depuis toujours c'est le gouvernement qui prépare cette cérémonie d'annonce sans qu'il y ait de négociations préalables. Elle ne peut pas être crédible», renchérit M. Malaoui. Les partenaires doivent pourvoir «participer aux négociations et pas seulement assister comme figurants aux décisions prises préalablement par le gouvernement.» Pourtant, du côté du patronat, on se veut conciliant. M. Ezzraïmi ne veut pas faire «le procès de qui que ce soit», et préfère «espérer que cette nouvelle rencontre réussisse». Deux éléments sont à l'origine de cet optimisme : d'abord «l'unification du patronat qui pour la première fois va parler d'une seule voix», ce qui jusque-là n'était pas possible en raison de guerre de «leadership». Ensuite, explique notre interlocuteur, «je pense qu'il y a un bon premier ministre entouré de bons ministres, avec le dernier remaniement qu'il y a eu.» Est-ce à dire que les prédécesseurs de Sellal étaient mauvais ? Non, selon M. Ezzraïmi. La différence réside dans «les moyens d'agir». «Je pense que M. Sellal a les moyens et la volonté d'aller de l'avant.» Autre espace de débat D'autres chefs d'entreprise affirment ne pas «connaître le niveau de sincérité de Sellal». Et le rôle jusque-là joué par les associations patronales suggèrerait, selon l'un d'entre eux, qu'elles seraient là pour «solliciter une énième part du gâteau dont elles arrachent toujours les restes». Certains patronats «en font un fonds de commerce pour se montrer importants et proches du pouvoir». D'ailleurs, fait-il remarquer, «certains chefs du patronat n'ont même pas d'entreprises». L'important, toutefois, reste de «regarder vers l'avenir et essayer de trouver des solutions ensemble». Ce à quoi adhère le PDG de SIM pour qui c'est seulement avec «un patronat uni face à un gouvernement qui a la volonté d'aller vers l'amélioration de l'économie algérienne qu'on pourra peut-être avoir des résultats.» Les défis sont énormes, comme le souligne Meziane Meriane. «Il faudra relancer la production nationale et trouver des mécanismes pour ne plus dépendre des hydrocarbures.» Il y va du maintien des équilibre sociaux. «Si les prix des hydrocarbures chutent, qui pourra assurer la gratuité des soins, de l'enseignement, la subvention des prix à la consommation ?», s'interroge-t-il. Mais avant de trouver des réponses à ces questionnements, il faudrait songer à revoir le fonctionnement de la tripartite. Pour M. Malaoui, il faut qu'il y ait «une tripartite de négociations» où tous les partenaires auraient la possibilité de discuter «des problèmes liés à l'économie aussi bien que les moyens d'éviter les conflits entre employeurs et employés.» «Si nous avons la possibilité de dialoguer, nous irons à la tripartite, si c'est pour être des figurants, nous n'irons pas», prévient-il.