« Une femme fait un enfant en neuf mois, mais neuf femmes ne font pas un enfant en un mois. » (Dicton populaire) L'Algérie se prépare, suivant une coutume bien établie, à célébrer le 3e anniversaire du tremblement de terre du 21 mai 2003 et du drame qui en résulta. Chacun s'apprête, à sa manière, à rendre hommage aux victimes de la tragédie, les uns dans le silence et le recueillement, les autres dans une atmosphère de kermesse où les discours d'autosatisfaction ne manqueront pas. Une nouveauté cette année : un semblant de débat s'est instauré, il y a quelques semaines, entre divers courants de prétendus experts en génie parasismique et chacun s'attendait à savoir, enfin, le pourquoi de l'ampleur du drame et le comment pour l'éviter à l'avenir. Il n'en fut rien ! Ce qui ressemblait à un débat n'était en réalité qu'un bras de fer déguisé entre ceux qui veulent accéder aux affaires, quitte à employer des moyens douteux et ceux qui tentent de s'y maintenir en falsifiant la réalité pour masquer leur responsabilité dans les événements tragiques passés et dans ceux à venir. Il n'est ni sain ni productif d'emboîter le pas à cette espèce d'individus. Il est, néanmoins, important de remettre les pendules à l'heure car, comme dit l'adage : « Qui ne dit rien consent à tout. » Parmi les acteurs de ce macabre show, il en est qui, bien qu'exerçant des métiers respectables, ce qui devrait logiquement les astreindre à plus de retenue et de rigueur, n'engagent qu'eux-mêmes par leurs dires. Il en est par contre d'autres qui sont mandatés et grassement payés par l'Etat pour faire ce qu'ils devraient faire et non pas pour faire endosser à la puissance publique les mensonges et les contrevérités qui caractérisent aujourd'hui l'action de prévention des risques dans les constructions d'une manière générale et les risques sismiques en particulier. Parmi ces personnages, il en est un qui s'est, récemment, fait malmener à l'occasion de rencontres organisées sur le sujet. Pour quelqu'un qui a toujours eu la haute main sur la machine à produire les séminaires, ce fut un échec cinglant. Il s'est alors rabattu, en désespoir de cause, sur ce qui lui réussit le moins : la médiatisation. Il adressa un projet de contribution à un quotidien national que ce dernier n'a pas publié, se contentant d'en faire une brève analyse. Lorsqu'un responsable au niveau d'une structure de l'Etat se fait censurer par un journal sur un sujet (le génie parasismique) dont la presse est friande, cela signifie tout bonnement que le contenu de son article n'est pas digne d'être porté à la connaissance du public. Qu'y avait-il dans cet écrit ? Mystère et boule de gomme ! Il est, en revanche, explicitement fait état de ce que la médiocrité algérienne sécrète le plus, à savoir la fanfaronnade, la prétention démesurée et la servilité. Ce personnage aurait, entre autres, déclaré dans cet article que le règlement parasismique algérien a été remanié en 1983 et se trouve en constante amélioration depuis cette date (grâce évidemment à lui, à ses mentors et à ses sponsors). Diable ! Ce qui s'est passé le 21 mai 2003 est de la faute du Saint-Esprit, bien sûr ! Certes, il n'est jamais sain de polémiquer sur des sujets aussi délicats, mais il est, parfois, bon de rappeler à certains ce qu'ils sont en réalité. Un rappel de la genèse du RPA et ses pérégrinations à travers les âges sont d'une utilité capitale. La création du CTC en 1971 avait été précédée de la signature d'un protocole d'accord entre le ministre des Travaux publics et de la Construction de la RADP et un organisme français de contrôle technique de la construction, au terme duquel ce dernier devait accompagner le nouveau-né et lui prodiguer aide et assistance dans divers domaines, notamment dans celui de l'élaboration de la réglementation technique propre au secteur. Dès le début de notre activité, nous avons établi un constat édifiant : l'Algérie était en train de réaliser un plan quadriennal d'une ambition qui frisait la démence, lequel plan était souvent doublé de programmes spéciaux au profit de nombreuses wilayas. Il y aura ensuite un second plan et tout autant de programmes spéciaux. Des dizaines de milliards de dollars étaient engagés et la part des intervenants algériens (architectes, bureaux d'études, entreprises, fournisseurs de matériaux, matériels, équipements, etc.) était réduite à la portion congrue pour ne pas dire à rien du tout. Tous les secteurs étaient concernés avec un net avantage pour celui de l'industrie dont les industries lourdes et pétrochimiques se taillaient la part du lion. Toutes ces réalisations devaient, du moins pour la partie génie civil et infrastructures, faire l'objet d'un contrôle technique de conformité avec les règles et les normes. Il n'existait, à l'époque, pas le moindre règlement proprement algérien ! C'est dire la redoutable mission qui échoit aux jeunes imberbes que nous étions. Qu'à cela ne tienne ! Nous avons proposé aux pouvoirs publics de laisser à chaque intervenant la liberté d'utiliser le règlement avec lequel il avait l'habitude d'opérer sachant que les règlements de base (sol et fondations, béton armé, construction métallique et autres) de tous les pays se ressemblaient, car basés sur les calculs, les essais en laboratoire et la pathologie. En revanche, les règlements basés sur les données naturelles locales étaient spécifiques à chaque pays. Si, dans ce contexte, nous pouvions nous inspirer auprès de nos voisins du bassin méditerranéen de leurs règles en matière d'effet de la neige et du vent sur les constructions en raison de la similitude des climats, il n'était absolument pas envisageable de s'en remettre à d'autres en ce qui concerne l'action des séismes. Trater les risques simiques Le spectre du séisme (sans jeu de mot aucun) nous faisait trembler de peur. Nous nous en remîmes à nos partenaires français qui nous proposèrent d'adopter les règles en vigueur dans leur pays, les PS69. A la question de savoir ce que ces règles étaient en mesure de couvrir, la réponse est courte mais claire : les PS69 ne couvraient que les bâtiments courants dont les logements. Nous aurions aimé, pour des raisons pratiques, faire un bout de chemin dans ce domaine avec notre partenaire, mais comment alors traiter les risques sismiques sur les raffineries de pétrole, les complexes de liquéfaction de gaz, les cimenteries et toutes les variétés d'ouvrages, aussi hardis et impressionnants les uns que les autres, qui poussaient dans notre pays ? La réponse à nos angoisses est venue d'Amérique : un véritable don du ciel. Pour 130 000 dollars US (moins de 650 000 DA de l'époque), quelques billets d'avion et autant de prises en charge dans les hôtels algériens, le John Blume Earthquaque Center de l'Université de Stanford (Californie) nous a aidé durant trois années, de 1975 à 1978, à confectionner un vrai règlement parasismique. Qu'est-ce qui distingue un vrai règlement d'un règlement Taiwan ? Tout simplement, le fait que le génie parasismique c'est, dans sa partie « conception, calcul et réalisation des ouvrages », de la mécanique à l'état pur et la mécanique est une science exacte. Les pâles copies qu'on nous exhibe n'ont qu'un rapport lointain avec cette discipline. La démarche qui gouvernait ce règlement était fondée sur trois principes : 1 - Les ouvrages étaient perçus, sous l'effet de l'action sismique, du point de vue de leur comportement dynamique. C'était la règle ! L'énergie cinétique retrouve la plénitude de ses droits. 2 - Le niveau du risque était défini par un accélérogramme, réel ou construit par simulation, et non par une appellation administrative. 3 - Le règlement, établi sur la base des états limites, doit avoir comme prolongements des règlements (BA et autres) aux états limites. La réalité d'aujourd'hui est loin, très loin, de ce schéma. Est-il concevable et croyable que nous ayons été en 1978 plus modernes qu'en 2006 ? C'est pourtant vrai ! Le projet est resté très longtemps dans les tiroirs, parce que ce n'était plus la priorité des pouvoirs publics qui avaient décrété une pause dans le développement et les investissements massifs. Le réveil fut d'une brutalité inouïe : le 10 octobre 1980, soit un peu plus de deux ans après l'achèvement du projet de RPA, un violent tremblement de terre secoua la région de Chlef et l'Algérie se retrouva sans règlement parasismique pour les besoins de la reconstruction des zones sinistrées, situation que ne manquèrent pas d'exploiter nombre de charlatans pour tenter de nous fourguer toutes sortes d'articles de quincaillerie. On décida, alors, de parer au plus pressé et de « sortir » un RPA, oubliant sans doute que l'élaboration d'un règlement de cette nature est un acte préventif et non curatif. On exhuma le projet de 1978, on le débarrassa de tout ce qui nécessitait un effort d'intelligence et de rigueur et on le noya dans un magma de dispositions issues des... PS69 ! A la question de savoir qui de la France ou la Californie était la référence en matière de génie parasismique, le profane aurait donné, sans hésitation, la bonne réponse. La science business a répondu différemment. Cependant, au vu des dégâts constatés à Chlef, on conserva quelques dispositions utiles comme la profondeur minimale d'ancrage des bâtiments dans les sols meubles, la nécessité de disposer de voiles périphériques au niveau des vides sanitaires. On conserva les caractéristiques qui conféraient aux poteaux leur rigidité, leur ductilité et leur résistance, à savoir les dimensions minimales, le pourcentage minimum d'armatures et le niveau de résistance du béton. On continua d'accorder une importance primordiale au contreventement des bâtiments à l'aide des voiles des cages d'escalier. Toutes ces dispositions furent abrogées, pour les unes, ou revues à la baisse, pour les autres, en 1983 qui fut en réalité l'année du début de la descente aux enfers. Si le règlement de 1981 avait été appliqué, en dépit des manipulations dont il a été l'objet, l'Algérie aurait certainement fait l'économie du drame du 21 mai 2003. Mais, nous dit-on, 1983 a été le point de départ de la « modernisation » du RPA. Si tel est le cas, jusqu'où ira-t-on ? Car loin de s'arrêter en si bon chemin, on a continué allégrement à dépouiller les Algériens d'un acquis considérable, et ce, au nom de principes irresponsables. Après 1983, il y eut le RPA88, dont la raison d'être a, officiellement, été dictée par la nécessité de réaliser des économies sur le prix du logement ! Et si l'on demandait au commun des mortels de dire si le prix de son logement a effectivement diminué et si, concomitamment, la qualité et la sécurité de ce même logement s'en sont retrouvées renforcées ? Gageons qu'il croira qu'on le prend pour un idiot. Il suffit d'ailleurs de constater ce qui s'est passé le 21 mai 2003 pour avoir une idée précise de ce que veut dire, du point de vue de la science business, un règlement parasismique économique. Il y eut ensuite le RPA99 construit sur la dissimulation du rapport, un document de la plus haute importance, d'un bureau d'études américain sur la sismicité de 7 wilayas de la région centre du pays ainsi que sur un arrêté ministériel falsifié. Oui, hélas ! On falsifie des arrêtés dans ce pays en toute impunité, c'est à croire que le code pénal algérien, tant redouté par certains, ne serait pour d'autres qu'un inoffensif épouvantail. Tout aussi préoccupant est le fait que ce règlement, comme ceux qui l'ont précédé et construit autour d'un spectre de réponse dit de calcul complètement faux. Comment des universitaires et chercheurs de tous grades, des ingénieurs de tous bords et des experts de tous poils ont-ils laissé dire que la réponse d'une structure serait nulle, lorsque la période propre de vibration de cette structure est infinie, c'est-à-dire en phase d'instabilité ? Un binôme d'élèves ingénieurs de l'Ecole nationale des travaux publics de Kouba a, par le calcul, prouvé le contraire, ce que d'ailleurs le simple bon sens suggère et ce que la littérature sérieuse affirme. Personne n'a relevé cette grave anomalie qui fait aujourd'hui figure de méthode prescrite (par la loi) pour évaluer les forces sismiques dans un ouvrage. Mais l'Algérie a des spécificités très, très... spécifiques. Les gens avalent de grosses couleuvres, de la taille d'un boa, et ils en redemandent ! S'en suivirent, ensuite, les amendements au même RPA99 au terme desquels la capitale et ses alentours ont été élevés, sans justification sérieuse, au rang de zone de forte sismicité et, surtout, banni les structures autostables (poteaux-poutres) des ouvrages de plus de deux étages. Ainsi, après avoir prescrit des règles scandaleuses qui ont porté sur une diminution drastique et arbitraire de la dimension des poteaux, de la section de leurs armatures et de la résistance des bétons, après avoir affaibli le poteau à travers toutes ses caractéristiques, économie oblige, on en vient à le jeter, sans ménagement, aux orties. Le pays paiera très très cher cet acte indigne des professionnels qui se respectent. D'ailleurs, les inspirateurs de cette idée font semblant d'oublier qu'ils occupent, les uns et les autres, et ce, depuis près de 30 ans, des bâtiments de trois et quatre étages avec ossature autostable sur vide sanitaire et poteaux courts, c'est-à-dire tout ce que le « règlement Boumerdès » interdit. Combien de séismes et quel niveau de dégâts ont subi ces bâtiments depuis qu'ils existent ? Si le nombre de séismes est indéterminé, les dégâts sont, en revanche, connus : ils sont nuls ; et pourquoi ? L'auteur de ces lignes, qui fut en son temps le réalisateur de ces bâtiments, connaît la réponse : elle se trouve dans le premier projet de RPA, celui de 1978.