Il y a une semaine, un entrefilet est passé presque inaperçu dans notre journal, alors qu'il abordait une question pas du tout banale dans la conjoncture difficile que nous vivons. De quoi s'agit-il ? Du lancement par un ex-colonel du DRS d'une nouvelle association des patriotes algériens qui aura pour objectif de «protéger le pays contre toutes les dérives, y compris si le danger vient des hauts responsables». Si l'initiative apparaît comme une réaction tout à fait légitime et très louable pour essayer de faire face au phénomène de déliquescence aggravée que connaît le pays, d'aucuns se demandent quelle sera la part de réussite qu'elle pourrait avoir dans l'engrenage d'un système autocratique extrêmement fermé qui s'est doté de puissants moyens de défense pour annihiler toute forme de contestation ou de remise en cause. En effet, au-delà de l'intention politique que partage une large frange de la société algérienne, excédée de voir l'Algérie évoluer en vase clos bien en deçà de ses capacités réelles de développement, il y a la mobilisation autour de cette généreuse — et sûrement salutaire — idée qui pose problème. Marginalisée, souvent anesthésiée, l'opposition démocratique, toutes tendances idéologiques et toutes catégories sociales confondues, qui est interpellée par cet appel au «sursaut révolutionnaire» n'a jamais pu constituer une force homogène pouvant donner naissance à un contre-pouvoir capable de lutter contre les glissements auxquels fait allusion l'ex-membre du puissant organe de la sécurité et du renseignement. Ce n'est pas faute d'avoir les convictions ou la volonté de s'investir dans l'action patriotique, mais tout simplement, comme l'a si bien dit l'un de nos éditorialistes récemment, parce que le combat politique est trop inégal dans notre pays pour prétendre renverser le cours des tendances lourdes de domination sur lesquelles repose le système de gouvernance. Certes, plus les engagements citoyens et patriotiques sont élargis et plus les chances de déstabiliser le système pour le réformer augmentent. Mais à l'image du front du refus qui a été lancé dans la même optique par quelques figures politiques crédibles, ou des implications médiatiques intermittentes d'autres personnalités pour faire prendre conscience aux citoyens du danger qui guette notre pays si le régime reste en l'état, la nouvelle association des patriotes algériens dont l'originalité est qu'elle sort pour la première fois de l'institution militaire aura la lourde tâche d'affronter une redoutable organisation institutionnelle aux ramifications insoupçonnables et qui a à sa disposition tous les leviers de mobilisation en mesure de lui garantir, en toutes circonstances, les soutiens qui lui sont nécessaires. Quand l'association de l'ancien membre des services secrets Chaâbane Boudemagh parle du danger venant même des hauts responsables, tout le monde aura compris que c'est le clan présidentiel et son entourage qui sont particulièrement ciblés, car ce sont eux qui détiennent le Pouvoir de décision et c'est à eux que sont attribuées les graves dérives qui mettent le pays en péril permanent. Que peuvent dans cet ordre d'idées de petites associations ou de petits partis qui ont inscrit leur engagement dans la lutte pour l'instauration d'un système véritablement démocratique lorsque Bouteflika et ses hommes de confiance contrôlent tous les organes institutionnels et administratifs et règnent en maîtres absolus sur l'espace médiatique. Partout où l'Etat est présent, le pouvoir bouteflikien s'exprime. Il s'exerce à travers les deux chambres parlementaires qui n'ont jamais diffusé une seule note discordante à travers les wilayas et les APC, à travers les forces de sécurité, à travers les fédérations sportives, à travers les organisations syndicales dont bien sûr l'UGTA, même si de nos jours elle ne représente pas les travailleurs algériens à travers les organes de presse qui lui sont redevables et les télévisions publiques (et même privées) qui lui font de la propagande tous les jours. Depuis qu'il est arrivé au sommet de l'Etat par le biais d'un compromis avec l'armée qui le voyait à l'époque comme l'homme providentiel qu'il fallait pour l'Algérie, Bouteflika s'est acharné à détruire toute forme d'opposition d'où qu'elle vienne et à la remplacer par toute une faune de courtisans qui ont trouvé leurs comptes dans les largesses octroyées par le système, notamment dans le monde de l'affairisme, en contrepartie d'une soumission politique ou idéologique à toute épreuve. Même les islamistes purs et durs n'ont pas résisté aux chants des sirènes, c'est dire… Il a ainsi réduit l'activité partisane et pluraliste à sa plus simple expression et ouvert le champ aux partis qui portent son «programme» et dont la spécificité est que ces derniers ne soient jamais battus lors des élections. Une incroyable muraille dressée donc autour du pouvoir qu'on essaye d'abattre avec des pioches. Faut-il pour autant désespérer ?