En raison, en moyenne, d'un forum par quinzaine de jours, El Watan en est actuellement à sa cinquième année d'organisation de débats féconds et contradictoires, avec la présence d'intellectuels et de personnalités politiques de différentes tendances, sur les grands thèmes politiques, économiques et socioculturels qui agitent notre société, mais pas une seule fois on a vu les caméras de la télévision algérienne venir, ne serait-ce que par curiosité, investir les lieux et s'intéresser à ces rencontres qui, de l'avis unanime des participants, se présentent comme un excellent réceptacle d'analyses, d'idées et de réflexion sur la nature de la crise multiple et multiforme qui nous entoure. Le boycott systématique de ce genre de manifestation, une pratique courante qui ne touche pas uniquement les forums d'El Watan, renseigne de manière éloquente sur la nature idéologique du système d'exclusion en vigueur au boulevard des Martyrs, notamment sur sa sournoise persistance au moment où des voix citoyennes, et même celles émanant de la sphère officielle, se font de plus en plus nombreuses pour exiger, à défaut d'une privatisation du champ audiovisuel, la démocratisation sans condition des médias lourds sous contrôle de l'Etat, autrement dit une télé et une radio qui prennent en charge l'expression libre de tous les Algériens et pas seulement une partie du peuple algérien. Si l'Unique et ses dérivés continuent de priver les téléspectateurs algériens de telles opportunités de concertation qui peuvent être autant de points de repère précieux pour l'opinion publique, c'est qu'à l'évidence il y a dans l'esprit des responsables et des dirigeants qui les instruisent une volonté farouche de maintenir coûte que coûte le courant d'opinion dans une seule et unique facette, celle qui privilégie la doctrine dominante du régime en place. En réalité, les médias lourds n'étant que des instruments de propagande, cette volonté de perpétuer le système de réflexion de la pensée unique, avec une pseudo façade démocratique, est un attribut sectaire du pouvoir qui s'est encore largement amplifié sous le règne de Bouteflika. En ce troisième mandat présidentiel, on a en effet pris, avec davantage de stupéfaction, toute la mesure de l'idéologie répressive appliquée au secteur de la communication à travers les organes d'information gouvernementaux. Raison invoquée aujourd'hui : l'ouverture du champ audiovisuel et la libéralisation de la parole seraient une menace pour la sécurité nationale, alors que quelques années en arrière, le motif était que le peuple n'avait pas suffisamment de maturité pour la liberté d'expression dans laquelle risquait de s'engouffrer le courant intégriste. Le pouvoir a quelque peu changé de stratégie en s'enfonçant dans l'argumentation contre-nature, mais il n'a cédé en rien sur le fond de sa politique d'exclusion. Le dernier forum organisé par le quotidien arabophone El Chaâb sur le problème de la démonopolisation du secteur de la communication apporte quelques réponses intéressantes à cette démarche jusqu'au-boutiste et suicidaire du pouvoir qui continue de se réfugier derrière l'alibi sécuritaire, en démontrant notamment que c'est au contraire l'absence d'un espace de débat libre en Algérie qui rend cette menace dangereuse. Pour le professeur d'université Ahmed Adimi, il y a péril en la demeure dans l'obstination à vouloir tout fermer chez nous, alors que notre ciel est arrosé par plus de 1000 chaînes étrangères parmi lesquelles nombreuses sont celles qui prennent en charge nos problèmes et nos préoccupations de l'heure. «En Algérie, on reçoit plus de 1000 chaînes étrangères. Selon de récentes études, plus de 20 millions d'Algériens de moins de 20 ans ont déclaré n'avoir jamais regardé une chaîne de service public. C'est une catastrophe…», soutient-il. Le conférencier estime que c'est pure hérésie de croire qu'ouvrir le champ audiovisuel est un danger, alors qu'on est câblé à tant de chaînes étrangères qui agissent directement sur notre opinion. Le vrai danger est donc le verrouillage des organes d'expression et la marginalisation de l'élite intellectuelle et politique qui font de l'Algérie «un pays qui a peur de sa propre image». Des forums de débats de ce type, hélas, sont pour les communicants officiels des cercles d'agitation qui doivent être étouffés.C'est ce que Abdelaziz Rahabi qualifie de «schéma d'infantilisation médiatique…»