Donner la voix aux sans-voix, un espace à ceux qui n'en ont pas, une présence à toutes les différences, c'est aussi une des vocations des métiers de l'information. Dans le cadre de son programme Société inclusive et médias, réalisé en Algérie avec le soutien de l'ambassade du Royaume-Uni et du quotidien El Watan, l'ONG basée à Londres Media Diversity Institute (MDI) a organisé, hier, un débat à l'hôtel Sofitel d'Alger autour de la place qu'occupent les voix marginales dans les médias algériens. «Il est primordial que les médias mettent l'accent sur la diversité qui existe dans la société et que chacun trouve sa place dans les moyens d'information», estime Dasha Illic, directrice de communication du MDI. Les éditeurs des journaux El Watan et Liberté ont tout deux affirmé que beaucoup a été fait pour ouvrir leurs colonnes à toutes les franges de la société ; ils ont reconnu que beaucoup reste encore à faire pour casser certains tabous. «La diversité est une des valeurs fondatrices du journal El Watan ; depuis de longues années, nous donnons la parole à ceux qui ne font pas nécessairement la une», souligne le directeur d'El Watan, Omar Belhouchet. Il note que l'ouverture de la presse à l'initiative privée, en 1990, a permis de donner des espaces d'expression à ceux qui, de 1962 jusqu'à 1988, ont été étouffés, torturés, persécutés par le pouvoir. «Grâce à cette nouvelle presse, les Algériens ont découvert que la Révolution avait des héros. L'histoire est constitutive de la nation et on ne pouvait même pas en parler avant l'ouverture de 1990. De même que durant la décennie de sang, à partir de 1993, le pouvoir a voulu bâillonner les voix discordantes. On nous avait intimé l'ordre de ne pas parler des victimes du terrorisme, mais nous l'avons fait. La société algérienne n'est pas monolithique et nous faisons l'effort quotidien de le montrer et, parfois, nous le payons cher», dit-il encore. Concernant l'avenir, le même responsable d'El Watan s'est dit pessimiste : «Ma génération a vécu une révolution médiatique. Aujourd'hui, une oligarchie qui a tous les pouvoirs – et quand je dis oligarchie c'est pas seulement le Président, c'est toute l'oligarchie – ne veut pas rééditer l'ouverture de 1990. Le pouvoir ne veut rien lâcher.» Abrous Outoudert, directeur du journal Liberté, indique pour sa part que si bien des tabous ont été cassés ou des sujets interdits du temps du parti unique ont été largement traités par la presse privée, il en reste encore qui ne sont pas sortis du cadre de l'intouchable. «Nous nous sommes intéressés à l'Algérie ‘utile' et avons oublié l'autre Algérie. Nous n'avons pas pris en charge les voix des jeunes du Sud. Nous n'avons pas évoqué la question des homosexuels par manque de courage ou par pudeur. Nous sommes des journaux généralistes et non de société. Par la force des choses, l'ouverture de la presse s'est accompagnée d'une terrible période de terrorisme, on s'est donc focalisés sur cela et après sur les questions économiques, mais aujourd'hui allons-nous parler des harkis et des fils de harkis, par exemple ?» Belkacem Mostefaoui, professeur à l'Ecole supérieure de journalisme, apporte son avis de spécialiste en communication pour dire que «toute société humaine a le droit et le devoir d'être représentée dans un outil de communication. Mais les responsables politiques se sont défaussés devant cette responsabilité de construire un service public audiovisuel. 51 ans après l'indépendance, nous constatons qu'ils n'ont pas le respect de la construction de la grande nation algérienne». Ceci et d'ajouter : «La société algérienne a été jetée en appât à un ouragan de télévisions étrangères. Comment notre patrimoine d'amazighité, d'algérianité, défendu des siècles durant grâce à une capacité de résistance contre la colonisabilité, peut-il aujourd'hui être défendu ? Ce n'est pas avec ce que nous déversent les chaînes étrangères ni les télévisions qu'on dit privées qui sont tombées du ciel. Il ne peut pas y avoir de liberté sans responsabilité, à partir du moment où il y a une ouverture dans l'informel, on ne peut pas attendre grand-chose.» Belkacem Mostefaoui estime aussi qu'il y a un dramatique mouvement de fond qui pousse vers le populisme : «On a vu comment le populisme a créé des idéologies totalitaires, le populisme est contre la culture. Il faut donner à notre algérianité féconde tous les ressorts pour qu'elle s'exprime dans les publics et les espaces les plus larges.»