Le manque d'espaces de création pousse un groupe de réflexion à diffuser une pétition, créant ainsi le buzz sur les réseaux sociaux afin de suggérer l'ouverture des abattoirs d'Alger pour les artistes algériens. Une expérience qui cartonne en France et au Maroc. -Walid Bouchouchi.Graphiste designer : l'artiste doit sortir de facebook
Aujourd'hui les artistes algériens ont une meilleure visibilité, mais ça reste sur la Toile. Est-ce une situation normale ? Je ne le crois pas. Pour ma part, il est important d'exposer dans des galeries et partager mon travail. A Alger, il existe peu d'endroits sur le circuit officiel, mais on voit des galeries ou des espaces qui s'ouvrent, çà et là pour nos artistes. Ce n'est pas suffisant et il faut que ça continue. Le projet des abattoirs d'Alger passe un peu inaperçu, car il n'a pas un écho général, mais ça reste en catimini, et juste dans «le milieu». Au début, j'ai trouvé mon compte sur facebook, on partageons mon travail. Cependant, j'aimerais beaucoup sortir du réseau social, c'est comme un piège pour les artistes, on partage mais on ne pas vivre de son travail. Je crois que le fait que les artistes n'aient pas de carte professionnelle, ça les stigmatisent et les rend invisibles, si on ajoute à cela le fait qu'ils n'exposent pas fréquemment, je n'ose imaginer ce qui arrivera. -Djamel Agagnia. Artiste peintre : les abattoirs d'Alger sont une opportunité pour nous Cette pétition, que nous avons mise en ligne, est le fruit de longues discussions avec mes amis artistes. Principalement autour de l'inexistence de lieux d'expression. Nous avons constaté que les abattoirs d'Alger offraient une très belle opportunité pour nous, puisque c'est un très grand espace qui servira aux artistes contemporains et leur donnera la possibilité de voir les choses en grand, et s'exprimer sans limites. Des pays comme la France ou le Maroc ont relooké leurs anciens abattoirs en vue d'en faire une vitrine internationale pour les arts. Nous ne voulons pas que cet espace serve uniquement les artistes plasticiens, il serait plutôt ouvert à tout le monde, parce que c'est un endroit d'échange qui pourra métisser tous les courant et donner une force à l'art en Algérie. Au lieu de fermer les abattoirs d'Alger, il serait judicieux de les mettre à la disposition des citoyens, et de récupérer l'espace. -Hakim Bark.Fondateur de la web-radio Hnawelhik : les artistes ont trouvé refuge sur facebook Je suis pour le principe que des endroits comme les abattoirs d'Alger, ou autres, soient transformés pour les rencontres, les échanges, les ateliers et surtout le public. Il est important que les artistes communiquent avec ce public qui est parfois loin de la vie artistique. Aujourd'hui, le fait qu'il n'y ait pas ou peu d'espaces, les artistes algériens ont trouvé refuge, soit dans les rencontres internationales, mais tout le monde n'a pas cette chance, alors il y a les réseaux sociaux. Sur notre page facebook ou sur la web-radio, on tente de donner de la visibilité à ces artistes que personne ne connaît. Parfois ce sont des artistes qui ne vivent pas forcément à Alger. Facebook condense l'énergie créative dans un même endroit, aussi virtuel soit-il. Le problème se pose aussi quand l'artiste trouve un endroit où exposer, souvent la gestion de la communication est médiocre. L'administration qui gère la culture passe souvent à côté de la promotion et ne donne pas envie au public de s'y intéresser. -Zoubir Hellal. Peintre designer : les autorités n'ont jamais donné suite à nos demandes L'initiative a suscité beaucoup de commentaires sur les réseaux sociaux, notamment facebook. Walid Aïdoud et Djamel Agagnia et plusieurs artistes, ces projets de récupération de friches et de vieux immeubles à Alger, sont d'anciennes idées qui traînent. Les autorités n'ont jamais donné suite à nos demandes. Je crois que de telles initiatives sont un peu prématurées pour la société algérienne. Il faut se rendre à l'évidence, l'art n'est pas une priorité. Les réactions des gens sur la page facebook sont assez intrigantes puisqu'on dénote une certaine suspicion, les gens sont blasés et désabusés. Dans tout l'Algérois, on trouve moins de dix galeries artistiques, alors que des pays voisins ont accueilli des grandes manifestations dédiées à l'art, aux artistes même algériens, comme Ammar Bouras et bien d'autres. Alger, qui est une grande capitale, vit au rythme d'un boom économique important qui devrait profiter à tout le monde, y compris les artistes, mais pas seulement. Il nous faut des espaces pour que toute cette créativité puisse s'exprimer. -Ammar Kessab. Chercheur, expert en management culturel : le ministère de la Culture génère un art officiel, instrumentalisé et dirigé Si l'initiative salutaire d'un groupe d'artistes et d'activistes culturels appelant à aménager les anciens abattoirs d'Alger en un centre d'art contemporain démontre quelque chose, c'est bien que les artistes algériens commencent à revendiquer collectivement des espaces alternatifs pour exprimer librement leur art. Bénéficiant d'un emplacement stratégique, les abattoirs d'Alger pourraient devenir – comme nos amis activistes culturels marocains l'ont fait pour les abattoirs de Casablanca – un haut lieu de création, mais surtout de socialisation de l'art contemporain. Bien que les abattoirs d'Alger constituent une «aubaine pour l'art» – pour reprendre le titre de la pétition lancée en ligne –, il n'en demeure pas moins que leur placement sous la tutelle du ministère de la Culture serait aberrant car ce ministère pratique, depuis une dizaine d'années, une hégémonie sans commune mesure sur l'activité culturelle, pratique qui a généré un art officiel, instrumentalisé et dirigé, dans lequel le citoyen ne se reconnait point. Les abattoirs d'Alger sont une aubaine pour l'art, mais pas n'importe quel art.