La commémoration d'Octobre 1988 à Béjaïa a souvent été une action timide de rares militants des droits de l'homme quand elle n'est tout simplement pas solitaire de par l'éternelle revendication de l'indemnisation et du statut réitérée par l'Association des victimes d'Octobre 88 (AVO). Pour rompre avec cette dispersion et redonner souffle au mouvement, un cadre rassembleur est né pour se proposer de commémorer le 25e anniversaire dans l'union mais aussi d'œuvrer à la réhabilitation du 5 Octobre 1988 et recouvrer ses acquis. Le Comité de réhabilitation du 5 Octobre 88 (CRO 88) a été mis sur pied en août dernier sur une idée qui a germé dans les locaux du Centre de la documentation des droits de l'homme (CDDH), relevant de la LADDH. Au programme de la commémoration : une marche et un meeting qui réclameront de faire du 5 Octobre «la journée nationale de la démocratie». La demande introduite par l'AVO 88 pour une conférence-débat hier à la Maison de la culture n'a pas été acceptée pour le motif de salles «réservées». La même réponse a été signifiée l'année passée à la demande de la CDDH dont le responsable tient à dénoncer «cette attitude». C'est vers l'exigu local de ce centre que convergent des associations en quête d'espace de liberté. À la mi-août dernière, des représentants de la CDDH, de l'AVO 88, du MJIC et du Comité de solidarité avec les travailleurs (CST) s'y sont réunis pour donner forme à la convergence des efforts. À ses associations s'est joint un ancien P/APW, Rabah Naceri, pour former le premier noyau du comité de réhabilitation du 5 Octobre 88 signataire d'une récente déclaration. «25 ans après le séisme d'Octobre 88 qui a fissuré l'édifice du pouvoir et mis à nu les pratiques dictatoriales du système en place depuis l'indépendance et la mémoire des victimes de la répression sauvage qui s'en est suivie, greffée à celle de nos valeureux chouhada de la guerre de Libération, nous interpellent aujourd'hui à faire le bilan objectif et sans complaisance de ce noble combat», écrit le CRO 88 dans sa déclaration. Le bilan ? C'est la brèche ouverte par le soulèvement d'Octobre 88 et aussitôt fermée du fait des violations par le système en place. Ce qui impose le constat d'un net recul, d'un «fleuve détourné». «25 ans et rien n'a changé.» L'intitulé de la déclaration de l'AVO 88 résume ce bilan triste d'un quart de siècle. «Nous constatons aujourd'hui que nous sommes retournés à la case départ. Après 25 ans de lutte, il y a nécessité de fédérer les énergies», déclare Hocine Boumedjane, responsable du CDDH. «Il y a lieu de lancer une dynamique dans le sens de la convergence démocratique», suggère-t-il. Le CRO 88 appelle à faire du rendez vous du 5 octobre «le point de départ d'une véritable convergence démocratique pour une réelle prise de conscience quant à l'exigence du rassemblement de tous pour une véritable transition démocratique». «Il y a une régression sur tous les plans. Nous en appelons à la mobilisation de toutes les forces vives, politiques, sociales, syndicales. Ce système doit partir. On peut diverger dans nos programmes mais on ne peut pas ne pas être d'accord quand l'Algérie est menacée», déclare de son côté Karim Boudjaoui, porte-parole du CST. Né il y a un peu plus d'une année, ce comité a sonné la mobilisation en soutien à des travailleurs grévistes dans plusieurs entreprises : Cevital, ETR, Erenav, Getic, EPBTP… Au CRO 88 émarge aussi le Mouvement de la jeunesse indépendante pour le changement (MJIC) qui est d'une naissance récente à Béjaïa (2011). En octobre 2012, quelques-uns de ses militants ont accompli leur devoir de mémoire en se joignant à l'action de l'AVO 88. La composante du CRO 88 s'est élargie à d'autres organisations dont le RAJ, Amnesty international, le café littéraire, l'association Taous Amrouche et celle des chômeurs. Du beau monde auprès duquel il n'a pas fallu trop insister pour s'assurer son adhésion à la démarche du comité qui a aussi tapé à la porte des partis politiques : FFS, RCD, PST, Jil Jadid, UDS, FNA, ANR et PNSD. «Nous attendons qu'ils se manifestent», nous dit Karim Boudjaoui. Jeudi, le PST a rendu publique une déclaration appelant à rejoindre l'initiative du comité. Voulu à portée politique, le meeting qui ponctuera la marche d'aujourd'hui portera néanmoins une touche artistique. «Poètes, musiciens, conteurs, plasticiens, à tous ceux qui rêvent de cette Algérie plurielle qui s'est réveillée un 5 Octobre 1988 et a été maintenue en veilleuse depuis, pour la réveiller de nouveau et la faire vivre à la nouvelle génération afin qu'elle puisse aussi donner de son souffle à ce rêve générationnel, rendez-vous le 5 octobre 2013», a écrit sur facebook l'homme de lettres Hassani M'hamed. Des artistes viendront peindre le souvenir d'Octobre et immortaliser ce réveil que les animateurs du CRO 88 espèrent pouvoir maintenir au-delà de la commémoration pour voir naître une perspective politique à la hauteur des sacrifices des victimes du 5 Octobre 1988.