Jours de cendre est le premier long métrage de Amar Si Fodil. Le film était en compétition officielle au 7e Festival d'Oran du film arabe (FOFA) qui s'est déroulé du 23 au 30 septembre dernier. Le film est produit par Bachir Deraïs, avec l'appui financier du FDATIC, fonds du ministère de la Culture et de l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC). Jours de cendre, qui relève du cinéma noir, a été critiqué après sa première projection à Oran. Le film porte les stigmates d'une première expérience, peu réussie, pour Amar Si Fodil dans la réalisation d'un long métrage. Dans cette interview, le jeune cinéaste évoque les difficultés qu'il a eues avant et pendant le tournage, et parle de sa vision du cinéma ainsi que de l'idée du film. -Vous avez réalisé plusieurs courts métrages, et vous venez de réaliser Jours de cendre, comment s'est fait ce passage ? J'ai décidé de passer au long métrage après mon retour de France. J'ai étudié l'art et le cinéma à Marseille pendant une année. Je suis rentré en Algérie, et j'ai tourné un court métrage, c'était en 2007. J'avais déjà tourné des courts métrages d'école, aux beaux-arts d'Alger, des films autofinancés. Aux beaux-arts de Marseille, j'ai commencé à écrire un scénario d'un court métrage. Mon professeur d'analyse de cinéma m'a dit que ce scénario pouvait se développer en long métrage. J'ai commencé à travailler dessus. Entre-temps, je suis rentré à Alger où j'ai tourné un court métrage, Le doute, qui a décroché le prix Ali Maâchi (...). J'ai rencontré par hasard Bachir Deraïs dans les couloirs du ministère de la Culture, avec qui j'étais assistant stagiaire sur une production de Merzak Allouache en 2004 (Babor Edzaïr). Je lui ai parlé de mon projet. Nous avons travaillé pendant trois mois sur le scénario, et puis nous avons déposé le dossier d'une demande auprès du Fdatic. Nous avons attendu plus d'une année pour avoir le financement. La commission du fonds a demandé une réécriture du scénario Pourquoi ? -Il y avait des choses particulières à changer. Par exemple... Franchement, j'ai oublié. L'essentiel est que le scénario ait été réécrit. -Et quel a été le déclic de l'histoire racontée dans Jours de cendre ? A Marseille, je lisais la presse algérienne, et je suis tombé sur un article relatant un fait divers, la découverte de deux cadavres, d'un homme et d'une femme, dans une forêt du côté d'El Eulma. C'était le déclic. Je voulais travailler sur une idée, savoir pourquoi ces deux cadavres s'étaient trouvés dans cet endroit précis. Sur conseil de mon professeur à Marseille, j'ai écrit un scénario pour un long métrage. Et dans Jours de cendre, vous trouvez la scène de deux cadavres en forêt. -Dans Jours de cendre, Alger est très présente... Alger, c'est beau, violent. Je ne sais pas si j'ai réussi ou pas, je voulais qu'Alger soit l'un des personnages du film. C'est pour cela que j'ai filmé de cette manière les rues de la capitale. Cela a peut-être provoqué des ruptures dans la compréhension du long métrage. Au fait, je voulais expérimenter la construction d'un plan cinématographique à partir d'une vision d'architecte, puisque je le suis de formation. Je pense que je n'ai pas eu assez de recul… -Qu'en est-il du casting ? Je voulais découvrir de nouveaux comédiens. Dans le film, quatre comédiens n'ont jamais joué dans un film auparavant, comme Farid Guettal (Ali) ou Youcef Sahaïri (Amir). Youcef a fait du théâtre mais pas de cinéma (il a également interprété un rôle dans un feuilleton de Bachir Selami, ndlr). J'ai terminé le tournage en juillet 2012. Le choix de Lamia Boussekine est motivé par le fait que je cherchais une comédienne qui avait la maturité et la fragilité à la fois pour interpréter le rôle de Fatima. J'ai «casté» plusieurs comédiennes non expérimentées, mais je ne voulais pas prendre ce risque surtout pour un rôle principal. -La bande originale du film paraissait effacée à l'écran, pourquoi ? Un bon travail a été fait avec le compositeur Lyes Mahmoudi, un jeune talentueux, sur la musique et l'image. Il est vrai que la musique originale n'est pas très présente dans le film. J'estime que l'utilisation de la musique facilite l'accessibilité à la compréhension. Je n'en voulais pas, en fait. Sans vouloir compliquer le récit, je refusais d'en faire un long métrage musical. J'ai fait le choix d'utiliser la musique à des moments (...). J'ai pris deux chansons du groupe Amarna, deux chefs-d'œuvre de la musique algérienne. La mort de Djillali (chanteur du groupe) est une perte pour la musique algérienne. Ces deux chansons, comme Khilwni nbki ala rayi, reflètent la mélancolie présente dans le film, l'histoire de Fatima. Elle rendait bien l'émotion que je voulais. J'ai été étonné d'entendre des personnes s'interroger sur la non-utilisation de la musique algéroise, puisque l'histoire se déroule à Alger ! Amarna est un groupe algérien ! Finalement, c'est compliqué... Lors de la projection ici à Oran, le public a applaudi le film… -Etes-vous satisfait du jeu des comédiens... Satisfait ou pas, nous avons énormément travaillé. J'ai pris le risque de faire appel à des comédiens non expérimentés. Je suis content de les avoir découverts. Quand on fait un film, c'est déjà un risque. Le risque zéro n'existe pas. Un tournage, c'est très éprouvant. Rester sur le plateau durant toute la journée n'est pas facile pour les jeunes acteurs. Grâce à leur expérience, Samir El Hakim et Lamia Boussekine arrivaient à gérer leur fatigue. Ce n'était pas le cas pour les autres. Le plus talentueux des comédiens non professionnels peut s'effondrer à tout moment. Nous avions un plan de travail très serré. Nous tournions jour et nuit. Il fallait tourner en 30 jours. -Vous avez dû supprimer beaucoup de scènes au montage. C'est en tout cas visible à l'écran… J'avais un premier montage qui faisait deux heures. J'ai trouvé que c'était très long par rapport à la compréhension du film. J'ai préféré raccourcir le film, mais un film n'est jamais achevé. Quand je l'ai vu en salle, j'ai découvert qu'il y avait des choses que j'aurais dû modifier, arranger. Quand on fait le montage d'un film, on le fait sur les petits écrans. En Algérie, nous n'avons pas les audits ou les salles de projection de pré-montage pour visionner les films et rectifier ensuite. -Lors de la projection ici à Oran, il y a eu des rires dans la salle. Vous avez une explication ? Franchement, je n'ai pas d'explication. A l'écran, il n'y avait rien de drôle (....). Certains ont dit que le réalisateur est en train de jouer avec le spectateur. Bien sûr, j'ai essayé de travailler sur l'émotion, créer des zones dans le film pour amener le spectateur à se poser des questions. -Et comment trouvez-vous le cinéma algérien actuel ? Nous avons des difficultés à produire des films en Algérie. Le nombre de films produits par année est très faible. C'est triste. A travers cette première expérience de long métrage, j'ai compris beaucoup de choses. Ce n'est pas un problème d'argent mais celui de structures et de techniciens. Alors que tout était prêt, nous avons attendu pendant deux mois avant de commencer le tournage, en raison de l'absence d'un technicien, retenu dans un autre tournage. Je parle de production, pas de distribution ou de salles de cinéma (…). Je ne vois pas quelles sont les thématiques traitées par le cinéma algérien, mis à part la guerre d'Algérie. Sinon, il n'y a que des films tels que ceux de Djamila Sahraoui Yema, ou Fatma-Zohra Zaâmoum Kedach thabni... Des avant-premières de films sont organisées à Alger, après on ne voit plus rien, pas de distribution de films au niveau national. Le Festival d'Oran m'a permis par exemple de voir Zabana ! (Saïd Ould Khelifa) et Harraga Blues (Moussa Haddad). Je n'ai pas pu voir ces longs métrages à Alger.