Les pensionnaires des centres d'apprentissage des inadaptés mentaux de Ihaddaden et de Sidi Ali Lebhar ont déboulé, l'espace d'un après-midi, sur les planches du Théâtre régional de Béjaïa. Le choix d'un moment fort prisé pour la sortie par les Béjaouis, plus particulièrement la gent féminine, n'est pas fortuit. L'orchestre, le balcon, les loges ; tout était plein. On était bien curieux de voir de quoi étaient capables encore ces « petits diables » après qu'on ait découvert, il y a tout juste une semaine dans une exposition vente, leurs prouesses dans les arts plastiques, la menuiserie, la couture et le bricolage. L'AAIMB, l'association qui drive les trois centres d'éducation et d'insertion de Béjaïa, a voulu donner un caractère plus que récréatif aux représentations données. « L'objectif, nous entretiendra Hadj Naceri, président de l'association, en organisant la manifestation hors de l'enceinte de nos établissements et en optant de surcroît pour un lieu plutôt réservé aux professionnels de la chanson et du théâtre, c'est de convaincre que l'insertion n'est pas une utopie. » Le public n'est pas seulement composé des parents des 218 handicapés de l'AAIMB, mais aussi de spectateurs pas forcément complaisants, par sentiment, de la banalité et de l'imperfection. Il s'agissait dès lors de relever le défi en proposant des sketchs, des pièces, chorales et des tours de chants dont les thématiques ne se sont pas employées à s'arracher un apitoiement du public mais inspirées de l'environnement socioculturel du commun des Algériens (le nationalisme, l'identité, la famille,...). Elles voulaient pour effet de comprendre enfin que ces êtres, bien que quelque part fragiles, ne déméritent pas d'un rôle actif dans la société. Même avec de menus couacs, l'appréciation générale, à considérer l'applaudimètre, est au ravissement. L'on a donc apprécié les décors, les costumes, la synchronisation des tableaux avec les voix pour les opérettes, particulièrement dans l'interprétation de la chanson de Idir Essendu, les interludes musicaux, les arlequins ravivant l'engouement de la salle entre deux représentations et un animateur au registre imposant dans la narration en arrière-plan et surtout bien inspiré pour remplir les vides. Pendant l'entracte, une distinction symbolique est solennellement remise à Mustapha Tighzert, la personne qui, voilà 23 ans, avait posé la première pierre de la fondation de l'association, avec ses deux enfants handicapés comme premiers apprenants. L'émotion avait pris tout le monde à la gorge. Mais au diable les larmes ce jour-là ! Que la fête soit ! Et les élèves de l'AAIMB ont montré que comme tout le monde, ils savaient eux aussi faire la fête.