Située pourtant sur le CW175, reliant Constantine à El Khroub, la cité de Chaâba El Kahla fait figure d'un lieu complètement oublié par l'histoire, alors qu'elle n'est qu'à un quart d'heure de route du centre-ville. Les constructions, érigées sur une colline dominant le site, semblent former un îlot entouré de vallées de toutes parts avec en face l'Oued Boumerzoug, un rempart naturel avec ses crues en hiver et ses odeurs insupportables en été. Pour les écoliers, les périodes de forte pluviométrie sont un calvaire. Le niveau de l'oued qui monte devient dangereux. Des collégiens font un long détour par Chaâb Ersas puis par le pont de la cité Boudeliou pour rejoindre le CEM de la cité Boumerzoug. « L'hiver dernier, les flots ont emporté un enfant et un enseignant », se rappellent encore les jeunes de la cité. Ces mêmes jeunes, qui ne se lassent pas pour refaire après chaque accalmie de l'oued, un passage de fortune sur le nid de la rivière avec des pierres et des pneus. « On fait toujours le travail de la commune sans jamais être payé », ironisent certains. En haut de la colline, les sentiers boueux l'hiver, poussiéreux l'été, sont toujours obscurs. Il n'y a pas d'éclairage public même si des poteaux électriques ont été plantés timidement à différents endroits. Les habitants privés d'eau et de gaz se débrouillent à leur manière pour traîner, à longueur d'année, des jerrycans d'eau et des bouteilles de butane sur des brouettes pour les plus pauvres et à dos d'âne pour les mieux nantis. « Nous avons réclamé à maintes reprises le raccordement de notre cité au réseau du gaz naturel, passant par la cité Ledjdour, située à quelques centaines de mètres et qui alimente tous les quartiers environnants sauf Chaâba El Kahla », protestent des citoyens condamnés à payer la bouteille de gaz butane à 270 et parfois à 300 DA. Encore faut-il la trouver par temps glacial chez le seul dépositaire des lieux qui n'arrive pas lui-même à s'en sortir. La vie quotidienne des citoyens de Chaâba El Kahla trouve son illustration moyenâgeuse sur le site même où les quartiers portent les noms d'El Ghar (la caverne), El Kef (le pic), Errouag (les couloirs) et Erroum. Des lieux qui ont souffert durant la décennie noire. « Entre 1994 et 1999, on ne pouvait pas rester dehors au-delà de 17h, c'était le couvre-feu », se rappellent encore des jeunes que nous avons rencontrés à la sortie de Chaâba El Kahla et qui ont accepté de nous raconter leur quotidien. Sans diplôme ni aucune qualification pour des raisons liées à leur condition humaine, ils cultivent un désespoir mêlé d'amertume et dessiné sur des visages aux couleurs de terre cuite. Vivre grâce aux petits boulots en attendant mieux, même si certains d'entre-eux avouent avoir bien travaillé au marché quotidien de Daksi, fermé par la force publique depuis quelques mois au prix des émeutes et des arrestations. Pour d'autres, le travail comme manœuvres ou manutentionnaires dans les chantiers de la nouvelle ville Ali Mendjeli ou de Aïn Smara ne durera pas longtemps. « Même pour des travaux de misère, il faut être pistonné. Si on ne vous connaît pas, vous ne serez pas embauché. On ne nous fait pas confiance », lancent-ils. Sans travail ni loisirs, les jeunes de Chaâba El Kahla passent leur temps à ruminer des histoires. Pour fuir les lieux, ils s'exilent à Farmoussa, dans une montagne proche. Un exil qui leur fait oublier momentanément leurs déboires, en attendant un geste des autorités, même si le délégué du secteur urbain de la cité des Mûriers n'a jamais mis les pieds dans les lieux, alors que pour le P/APC et le wali, les jeunes de Chaâba El Kahla avouent ne connaître même pas leur nom.