Comme l'arbre, les nations qui durent avancent et prospèrent, c'est celles qui s'enracinent. Rares de ceux qui ont occupé de hautes responsabilités dans le pays ont écrit des livres. Karim Younès, ancien président de l'Assemblée Populaire Nationale (APN) fait partie de cette poignée d'hommes politiques qui ont brisé la paresse et l'inculture ambiante pour se lancer dans une prodigieuse aventure intellectuelle : produire des œuvres et contribuer au débat sur des questions qui intéressent de près les algériens, même si les espaces d'expression se sont dangereusement rétrécis ces dernières années. Il en est à son deuxième livre sur l'Histoire. Son premier ouvrage, publié en 2001, est intitulé De la Numidie à l'Algérie, grandeurs et ruptures. Le second, dont on a obtenu une copie, a pour titre «Aux Portes de l'avenir, 20 siècles de Résistances, 50 ans d'Indépendance. Il sera bientôt en librairie et présenté bien évidemment au salon international du livre d'Alger. Ce que karim Younès propose aux lecteurs tout au long des 300 pages est une véritable rétrospective sur une histoire millénaire jalonnée de leçons pour le présent et l'avenir. L'ancien président de l'Assemblée Populaire Nationale prévient dès les premières pages de son livre qu'il est un homme politique : «je n'y ferai pas œuvre d'historien, ce n'est pas mon métier», précise-t-il dans l'avant-propos, en déclinant d'ores et déjà les objectifs de son œuvre : «je revendique seulement la disposition d'un homme qui est arrivé à un moment de sa vie là où il peut, à la fois puiser dans son expérience et nourrir sa vision de l'avenir. J'y vois l'occasion de prospecter les pistes qui nous conduiront tous ensemble à travers le XXIe siècle vers une société apaisée, ouverte sur le monde, portée par le souffle de la liberté, soucieuse de protéger les espaces d'expression ainsi que de respecter l'individu et ses choix.» 2000 ans de résistance et 50 ans d'indépendance valent donc bien d'être revisités, pour se situer d'abord dans le présent et se projeter dans le futur. «Cinquante ans après notre indépendance, et treize ans après le début du troisième millénaire, notre pays tarde à trouver sa voie. Celle qui lui impose d'abord une introspection historique pour capitaliser sur les leçons de sa propre histoire et celles d'autres pays», écrit Mohamed Gouali (diplômé de Harvard Business School (Boston), HEC (Paris), et Docteur en physique de l'Université d'Orsay) qui a préfacé le nouvel ouvrage de Karim Younès. «Cette introspection, affirme-t-il, doit s'attribuer comme objectifs essentiels la compréhension de ce que nous sommes, ce que nous avons apporté sinon à l'Humanité, du moins aux civilisations méditerranéennes.» Pour Mohamed Gouali, «nous sommes, à l'orée du troisième millénaire, une résultante, une concaténation de cycles et d'événements historiques qui ont fondé l'histoire maghrébine, africaine, européenne et musulmane.» Et, selon lui, «il n'y a pas de fatalité, car la mentalité qui prévaut dans la société algérienne aujourd'hui se retrouve historiquement dans toutes les contrées du monde, à chaque fois qu'un peuple est en proie au doute.» L'auteur de la préface prédit toutefois qu'«il suffit presque de si peu pour que le peuple algérien fasse de lui-même cette cure d'assainissement de ses valeurs pour qu'une raison d'espérer en lui-même, en son pays, jaillisse de nouveau.» «Si nous apprenions qui nous sommes ?» En écrivant son livre, l'ancien président de l'APN n'espère pas moins… Il lance en fait plusieurs défis et convoque notre histoire millénaire : «Et si, pour célébrer l'événement, nous repartions vers nos origines, vers les grands noms qui attestent de notre existence en tant que nation dans l'acceptation moderne du terme ? Si nous redécouvrions les souffrances de celles et de ceux qui nous ont précédés sur notre terre ? Si nous refaisions un parcours dans notre antériorité pour que notre mémoire se rafraichisse de ce qui nous est arrivé, et de ce que nous avons appris comme leçons ? Et si nous puisions dans les exemples qui nous révèlent que tout est possible pour un peuple qui allie l'intelligence, l'ambition et la culture, si nous enracinions en nous la conviction que l'Algérie, parce qu'elle a toujours été partie prenante dans les grands événements de ce monde, doit forger son avenir, sans complexe, sans timidité, sans arrogance mais aussi sans plus jamais accepter l'humiliation ? Et si nous apprenions un peu mieux qui nous sommes et d'où nous venons, depuis la venue de héros de l'opposition à l'empire romain tels que Massinissa et Jugurtha par exemple, jusqu'aux glorieux militants du mouvement de libération nationale ?» Pour l'auteur de Aux Portes de l'avenir, 20 siècles de résistances, 50 ans d'indépendance, «il se trouva à chacune des pages de notre histoire des hommes qui nous ont poussés vers la liberté». Dans son ouvrage, il sera question, également, «des rapports de force entre riverains de la Méditerranée au cours des siècles qui ont précédé le nouveau partage colonial des temps modernes.» On y décryptera aussi les enjeux des guerres qui ont fait de la Mare Nostrum une Mare Sanguinis, comme l'écrit Karim Younès. L'auteur revient longuement sur la construction d'un Etat Nation en Afrique du Nord. selon lui, «il existe un consensus parmi les historiens que Massinissa a été assurément le premier architecte d'une conscience politique nationale matérialisée par l'établissement d'un Etat, au sens où on l'entend aujourd'hui, pour faire face aux ruptures géopolitiques introduites en Méditerranée par Rome dans ses conquêtes récurrentes d'espaces vitaux.» Il en a établi, soutient l'ancien président de l'APN, «les prémices en choisissant Cirta, une ville naturellement sécurisée comme capitale, en se dotant d'une armée et d'institutions». «Nous sommes les héritiers de cette histoire tourmentée, riche et prestigieuse, parfois sanglante, souvent héroïque», écrit Karim Younès qui, en parcourant l'histoire millénaire de l'Afrique, retrace aussi bien les grandes réalisations de nos ancêtres que leurs faiblesses qui ont souvent conduit à la décadence symbolisée par la trahison de Bokhus jusqu'aux querelles inutiles entre frères qui ont attiré bien des convoitises sur un territoire riche et vaste. «Après la mort de son roi Massinissa, puis de son héritier Micipsa dont le règne a duré une trentaine d'années, sous la supervision envahissante de Rome, la Numidie, affaiblie par des querelles dynastiques motivées par des lambeaux de pouvoir, fut progressivement conquise par les Romains.» C'est de cette histoire de plusieurs siècles qu'il faut tirer les enseignements pour mieux affronter le notre, suggère-t-il. Mais qu'a-t-on tiré nous, les algériens d'aujourd'hui, de ces expériences ? Pas grand-chose ! Karim Younès s'étale tout au long du dernier chapitre sur les cinquante ans d'indépendance et à l'actualité brûlante du pays. Un constat et une interrogation : «Comment peut-on expliquer qu'avec les ressources financières considérables dont dispose le pays, grâce à une conjoncture pétrolière particulièrement favorable depuis 10 ans, le taux moyen de la croissance économique de l'Algérie sur la période 2000-2011 soit, selon les chiffres officiels, de seulement 3,6%, alors que la moyenne du continent africain est de 5% ?» «En d'autres temps, rappelle-t-il, et avec des moyens beaucoup plus limités, le taux de croissance était bien meilleur : ainsi, sur la période 1966-1980, il avait dépassé en moyenne 7%.» «Nous avons besoin d'un plan Marshall, mais il faut assainir d'abord le politique» L'ancien président de l'APN fait alors un appel : «Il est urgent de battre le rappel de toutes les intelligences pour qu'ensemble elles dessinent la voie de l'Algérie du siècle en cours, qu'elles dressent l'inventaire des nouveaux défis et permettent à la génération qui se lève de dresser, quand le temps sera venu, un meilleur bilan que le nôtre. J'en appelle aux intelligences libres, et non à celles inféodées à une quelconque chapelle, à des intelligences qui ne s'embarrassent pas de prétentions mercantiles et qui ne nourrissent d'autres ambitions que de servir leur peuple ; je pense entre autres à ces 40 000 cadres supérieurs algériens exilés au Canada dans les années 1990 et tous ceux partis bien avant la décennie rouge, fuyant la vindicte des cancres politiques accrochés aux postes de responsabilité dans la périphérie du système politique en place.» Karim Younès décline la quintessence de sa pensée dans cette phrase : «Nous avons plutôt besoin d'une alliance entre les pouvoirs publics et les industriels, entre les forces pensantes et les investisseurs, qui permettrait à l'ensemble des algériens de prendre part à l'essor de leur pays, non plus en restant autocentrés sur de tout petits projets locaux mais en participant à ‘‘un plan Marshall'' maghrébin.» Mais, précise-t-il, «il faudra d'abord et surtout prendre enfin conscience qu'il est vain de prétendre développer l'économique sans avoir au préalable assaini le politique.» Dans le cinquième et dernier chapitre, Karim Younès enchaîne encore et délicatement vers les questions d'actualité avec sérénité que sont les vicissitudes auxquelles est confronté le pays : absence de vision et de stratégie de développement, justice sociale au rabais, émergence d'une couche de prédateurs, véritable cancer du pays... Ses points de vue se structurent à chaque page de références historiques propres à l'Algérie dans ce qu'elles ont de glorieux mais aussi de cruelles désillusions. L'ouvrage de 300 pages se termine sur ce véritable cri : «… A y regarder de près, nous constatons que notre société convulse dans une perpétuelle ébullition, et à chaque explosion le pouvoir a cherché à apporter des réponses ponctuelles aux interpellations de la Nation. D'un multipartisme débridé à une restauration autoritaire, nous expérimentons un pluripartisme administré. Mais nous n'avons pas éradiqué la prédation, nous n'avons pas mobilisé la société parce que nous avons été incapables de réguler les ambitions, d'apaiser les tensions, d'ordonnancer les alternances, de libérer les énergies, de satisfaire les aspirations, d'assurer la transparence qui instaure la confiance entre la société et l'Etat.»