Le 23 octobre, date anniversaire de l'élection de l'Assemblée constituante et jour au cours duquel devait s'ouvrir le dialogue national de tous les espoirs, sept agents de la Garde nationale sont tombés sous les balles des terroristes dans deux différentes attaques. C'est dire toute l'incertitude planant sur la transition démocratique en Tunisie. Depuis l'amélioration de la situation sécuritaire dans le pays et l'arrivée à la tête du ministère de l'Intérieur de Lotfi Ben Jeddou en mars dernier, les découvertes de caches d'armes et de munitions se sont multipliées, ainsi que les arrestations de terroristes. Mais ces réussites ont été accompagnées par la recrudescence d'attaques de plus en plus meurtrières. C'est comme si, avec l'arrivée de Ben Jeddou à la place de Ali Laârayedh, un pacte tacite entre les autorités et ces groupes de terroristes avait été rompu. Ces derniers auraient réagi dès que les forces de l'ordre ont multiplié les arrestations ciblées et les découvertes de caches d'armes, comme à Ben Guerdane et à Mnihla. L'élément déclencheur du changement d'attitude du ministère de l'Intérieur aurait été l'assassinat du leader politique Chokri Belaïd, le 6 février, et les enquêtes ordonnées sur les activités des groupes terroristes après la nomination du ministre Ben Jeddou. L'élément révélateur du changement d'attitude des terroristes aurait été l'assassinat du député Mohamed Brahmi le 25 juillet. Depuis, plusieurs attaques terroristes ont été enregistrées. Huit soldats ont été tués dans une embuscade le 29 juillet sur les hauteurs du mont Chaambi ; deux agents de la Garde nationale ont été assassinés le 17 octobre à Dour Smaïl (Béja). Six agents de la Garde nationale ont été attirés dans un guet-apens le 23 octobre à Sidi Ali Ben Oun (Sidi Bouzid). Un agent de l'ordre a également été tué, le 23 octobre, à Menzel Bourguiba (Bizerte). La plupart de ces actions terroristes diffèrent des incidents de Rouhia en mai 2011 ou de Bir Ali Ben Khelifa début février 2012. Lors de ces deux événements, les éléments terroristes ne faisaient que transiter. Désormais, il s'agit de guets-apens destinés aux forces de l'ordre, d'une guerre ouverte contre les symboles de l'autorité de l'Etat. Par ailleurs, ces actes terroristes se produisent alors que le pays ne parvient pas à se stabiliser politiquement et dresser une feuille de route consensuelle pour sa transition démocratique. Impasse Depuis l'assassinat du député Mohamed Brahmi, l'Assemblée nationale constituante (ANC) est bloquée par le retrait d'une soixantaine de députés. Ces députés de l'opposition exigent la démission du gouvernement et son remplacement par une équipe de technocrates ainsi que la limitation des activités de l'ANC à l'adoption de la Constitution et de la batterie de textes juridiques des prochaines élections. Après diverses tractations, des organisations de la société civile (les centrales ouvrière et patronale, UGTT et Utica, l'Ordre des avocats et la LTDH) ont établi, avec la majorité des partis politiques présents à l'ANC, une feuille de route pour la transition démocratique : adoption de la Constitution et organisation des prochaines élections sous l'égide d'un gouvernement qui ne prendra pas part au scrutin. Des centaines de séances de travail ont été nécessaires pour peaufiner ce calendrier dont le compte à rebours devait être donné le 23 octobre par Ali Laârayedh. Au moment prévu, coup de théâtre : Ali Laârayedh refuse d'annoncer la démission du gouvernement malgré l'accord arraché la veille par le secrétaire général de la puissante centrale syndicale UGTT. Ennahdha et l'opposition s'accusent d'être derrière le blocage politique et la dérive terroriste. Démission La population, elle, s'en prend aux autorités. Lors des funérailles des six gendarmes, les familles des victimes ont refusé toute présence du gouvernement aux cérémonies. Les autorités, qui ont déclaré trois jours de deuil national, n'ont pas annoncé de cérémonie officielle à la caserne de l'Aouina (banlieue de Tunis), comme c'est généralement le cas dans ces circonstances. Cinq enterrements ont eu lieu dans les régions de Sidi Bouzid (centre-ouest), chef-lieu de la région où les affrontements ont eu lieu mercredi, et Kasserine. Les obsèques du sixième gendarme ont eu lieu au Kef (nord-ouest). La semaine dernière, des dizaines de policiers et gendarmes syndiqués avaient chassé le président Moncef Marzouki et le chef du gouvernement Ali Laârayedh de l'hommage rendu à deux gendarmes tués dans une autre attaque. Ils reprochent au pouvoir le manque de moyens pour lutter contre les groupes armés. Le puissant syndicat UGTT a appelé pour sa part à une grève générale, en signe de deuil, à Sidi Bouzid et à Kasserine. «Nous avons décidé d'une grève générale dans la région dans tous les secteurs et ceci pour exprimer notre tristesse et notre solidarité vis-à-vis des forces de l'ordre», a indiqué un représentant du syndicat dans cette région du centre-ouest du pays, Adnène Amri. Dans la ville, la plupart des écoles et lycées étaient fermés en hommage aux gendarmes tués Une petite manifestation y a eu lieu tôt le matin alors que la ville était traversée par le cortège transportant vers le Kef le corps d'un officier tué. Les gendarmes ont été assassinés alors qu'ils s'apprêtaient à effectuer une perquisition dans une maison de la localité de Sidi Ali Ben Aoun (région de Sidi Bouzid). Selon le gouvernement, qui accuse un groupe «terroriste» djihadiste, un assaillant a été abattu et ses complices sont «pourchassés». Mercredi aussi, un policier a été tué à Menzel Bourguiba (nord). Là aussi, la mouvance djihadiste fait figure de principale suspecte. Des manifestants de l'opposition ont annoncé leur intention de manifester tous les jours place de la Kasbah, où siège le gouvernement. Quelques dizaines d'entre eux y ont déjà passé la nuit de mercredi à jeudi.