Montée des quais à la première heure avec les premiers cageots de sardines, la nouvelle a vite fait le tour de la ville : trois jeunes ont volé dans la nuit une petite embarcation à hors-bord de 4 m et ont pris la direction de l'Italie. La Sardaigne n'est en effet qu'à 225 km au nord d'El Kala, le port de Cagliari à 250 km. C'est la première fois dans l'histoire de la petit ville côtière qu'on parle de harraga ou de boat people, cantonnés pour l'heure dans l'ouest du pays, beaucoup plus proche des côtes européennes de l'Espagne. Un suicide, prédisent péremptoires les gens de mer. Les jeunes ne savent pas naviguer et encore moins se servir d'une boussole, du soleil ou des étoiles. Il ne leur faudrait que 24 heures s'ils venaient à faire la traversée sans encombre, mais ce n'est même pas à envisageable avec une telle embarcation et sans connaissances élémentaires sur la navigation. Bref, il ne reste qu'à espérer qu'ils se fassent prendre par les gardes-côtes tunisiens ou italiens ou qu'ils changent d'avis et qu'ils rebroussent chemin. Pour d'autres, il n'en est rien de cette histoire et c'est une fugue en mer vers l'une des plages du littoral et l'on ne va pas tarder à les retrouver. Ou, c'est encore l'une de ces obscures histoires liées au corail. A l'heure où nous mettons sous presse, nous apprenons que l'embarcation volée dans la nuit de lundi à mardi vient d'être retrouvée à la dérive près du littoral du Cap Segleb, avec, à son bord, plusieurs jerricans d'essence et des cartes marines. On dit encore que l'un des fugueurs aurait été aperçu. Des signes qui indiquent qu'il y a de fortes chances qu'ils aient abandonné leur projet fou et qu'ils soient encore en vie. Mais cette affaire, même si elle se révèle sans fondement, est un signe tout aussi fort sur l'ampleur du désespoir de la jeunesse laissée pour compte. Le pillage du corail, qui commence à s'épuiser, a permis aussi aux jeunes de se mesurer à la mer. Le grand large n'est plus un défi...