Port de Bouzedjar, un port essentiellement pélagique, samedi 30 septembre. À 9h, au débarquement, la sardine est cédée à 400 DA le cageot, soit 26,50 DA le kg. Depuis trois jours, les prix se sont stabilisés à ce niveau. Ainsi, coïncidant avec le Ramadhan, leur baisse a été favorisée par des pêches abondantes grâce à la persistance d'un été indien et de nuits sans lune, deux facteurs propices. Cependant, premier paradoxe, livrée le dimanche à plus d'un millier de kilomètres, sachant que 50% de la production de Bouzedjar est écoulée à l'est du pays, cette marchandise coûte le même prix au détail sinon moins qu'à travers le Témouchentois. En outre, et deuxième paradoxe, à 10 km de Bouzedjar, à El Amria, son chef-lieu de daïra, la sardine coûtait 50 DA et 100 DA, selon la qualité de la marchandise. Au niveau du chef-lieu de wilaya, soit à 30 km d'El Amria, la sardine se vendait à 50 et 70 DA. A Béni Saf, premier port de pêche de la wilaya, et à seulement 500 m des quais, la sardine s'écoulait au détail entre 50 et 70 DA ! Coup de fil à notre bureau d'Oran, on nous apprend que la sardine se vendait à 50/60 DA, sachant que les sardiniers d'Oran pêchent aux mêmes endroits que ceux de Bouzedjar et que les uns les autres y sont à égale distance de leurs ports d'attache respectifs. Enfin, dernière bizarrerie, parmi d'autres, comment se fait-il que la production du pélagique (poisson bleu) ait augmenté depuis 2001 passant de 7 277 t à plus du double en 2005 et bientôt au triple en 2006 sans que les prix aient chuté ? L'hygiène laisse à désirer Comment se fait-il par ailleurs que comparativement à celle du bleu, la production des démersaux (poisson blanc) ait à peine doublé passant de 1 000t en 2001 à 2 000 t en 2005, alors que le nombre de chalutiers a augmenté de 17 unités et que celui des sardiniers ne s'est enrichi que d'une seule unité ? Tarik est mandataire à Bouzedjar. C'est notre premier interlocuteur. Il nous avait abordé alors que nous prenions en photo un employé qui étalait de la glace en paille sur les cageots de sardines. L'ouvrier ramassait à l'aide d'une pelle la glace répandue à même le quai, sur un sol sale. Comme d'habitude, elle a été ramenée là dans des sacs de la glacière du port afin de la conditionner avec le poisson en cageot dans les camions frigo, des camions qui allaient prendre la route pour l'intérieur du pays. Nous évitons de parler de cette gravissime atteinte aux règles de l'hygiène. Quelque peu sur ses gardes, notre interlocuteur se méprend sur le sens de notre première question. Il nous croit opposés au fait que la sardine parte ailleurs que Témouchent, ce qui en conséquence expliquerait que son prix n'ait pas chuté : « Mais heureusement que ce que vous croyez être de la sardine est acheté hors wilaya. Sachez que c'est seulement de la latcha (ellache), un poisson bleu qui lui ressemble, et que la latcha constitue la plus grosse part de notre pêche. Et comme elle n'est pas prisée en zone côtière et qu'elle est appréciée à l'est du pays, les poissonniers de cette région l'a préfèrent également parce que sa chair se putréfie moins rapidement que la sardine, ce qui fait qu'elle supporte un long transport. » Voulant connaître les prix, un autre interlocuteur nous explique que celui arrêté à 400DA n'est qu'un prix de référence pour la journée de samedi, car en réalité, différents prix ont été pratiqués. En effet, il y a des cargaisons qui se sont vendues à 300, 250, voire 200 DA le cageot : « En définitive, nonobstant les effets du facteur de la rareté ou de l'abondance, les prix dépendent de la qualité du produit. Ainsi, si vous débarquez de la sardine ‘‘larba'' (brillante et fraîche) ou si dans les cageots il y a des mélanges avec de la latcha ou encore s'il y a différentes tailles, le prix n'est pas le même. Les vendeurs au détail, eux, ne répercutent pas exactement ces différences sur les prix qu'ils pratiquent. » Approché, un acheteur sétifien nous indique que si le poisson est vendu au même prix à l'est du pays qu'à Témouchent, c'est que tout simplement, lui se contente d'une bien plus faible marge puisqu'il gagne sur la quantité. Toute l'explication est effectivement là, car si de manière générale à l'intérieur du pays, le marché du poisson est tenu par des poissonniers professionnels, la réalité est autre dans le Témouchentois où l'informel règne en maître. Au niveau du port, les « rouleurs », des propriétaires de camionnettes ou de guimbardes, achètent de petites quantités qu'ils revendent aux détaillants, des marchands ambulants pour l'essentiel. Et si à El Amria, la poissonnerie est fermée et qu'on vend le poisson à même le sol, pas loin du marché couvert, à Témouchent, seulement cinq étals de l'unique poissonnerie sont occupés par quelques mareyeurs. Kaddour, vendeur ambulant, a pris ce samedi trois cageots à raison de 300 DA l'un . Le prix d'achat au kg étant de 20 DA et comme Kaddour s'est fixé pour objectif de dégager un revenu net de 1000 DA pour sa demi-journée de travail, il propose sa marchandise à 50 DA. A l'intérieur de la poissonnerie, un mareyeur interrogé sur la question de la commercialisation s'emporte tout de go pour clamer que tout va à vau-l'eau : « Regardez ça, c'est du khororito (du menu fretin) pas du khorir (sorel). Voyez, il fait à peine 5 cm de long alors que la taille marchande est de 25cm ! Pourquoi ne pas laisser le poisson grandir ? Ce cageot de khororito pourrait donner jusqu'à cinq cageots de khorir de taille marchande ! Où est le contrôle ? Monsieur, je suis mareyeur de père en fils, et je vous assure qu'il fut un temps où en plus d'une amende, l'on vous emprisonnait pour un tel méfait ! Voyez, ils tuent la mer et moi je suis réduit à être leur complice. » La petite taille des sorels capturés n'a d'autre explication que le fait que les bateaux utilisent des filets aux mailles si étroites que tout ce qui nage est emprisonné. Encore et toujours la tchipa Ce qui n'est pas réglementaire. Autre son de cloche d'un autre interlocuteur, ce serait la concurrence déloyale que font les nouveaux bateaux acquis avec le concours de l'Etat pour promouvoir la pêche hauturière (en haute mer), qui a conduit les propriétaires des vieilles embarcations à ces condamnables extrémités. Tout comme la vieille flottille, usée et sous-équipée et qui ne peut pratiquer qu'une pêche artisanale et pour tout dire archaïque, la nouvelle se contente de racler la côte sur les mêmes lieux qu'elle. Ainsi, les nouveaux et modernes bateaux sortent, eux aussi, le soir pour revenir au matin alors qu'ils peuvent demeurer des jours en mer. Pis, ils restent amarrés au port dès la moindre agitation en mer alors qu'ils sont équipés pour y aller. Tarik, notre premier interlocuteur, indique : « Ils se contentent de quelques cageots de crevettes parce qu'un ou deux cageots peut leur rapporter l'équivalent de ma cargaison ! » Du côté des propriétaires des nouvelles unités, on nous explique qu'il n'existe pas sur le marché du travail des marins pêcheurs ou du personnel de commandement capables de tirer partie des possibilités de pêche qu'elles offrent. « Faux, depuis 2001 que les nouvelles acquisitions ont commencé, aucun des armateurs n'a voulu faire recycler son personnel, alors que la formation est gratuite ! » D'évidence, une mentalité rentière et franchement spéculative règne : « C'est certain, car tout un chacun sait qu'ils font de la pêche sélective, recherchant particulièrement les crustacés qui sont vendus en mer aux bateaux espagnols, car sinon comment expliquer que leur production stagne alors qu'elle devrait logiquement s'accroître ! » Un autre familier du monde de la pêche conteste que la production de crustacés soit vendue en mer : « Non, ils usent tout bêtement de la sous-déclaration des quantités pêchées grâce à des complicités gagnées à coups de tchipa ! » Enfin, dans ce tour d'horizon, une dernière source a orienté notre attention vers une autre direction : « Que sont devenues les 100 barques de 4,70m acquises à 350 000 DA l'unité et offertes par le ministre de la Solidarité aux plus démunis ? Rappelez-vous, c'était à la faveur de précédentes campagnes électorales. » Oui, effectivement, ces embarcations qui devaient offrir du travail et augmenter la production, ont été presque toutes vendues aux harraga. Aucune enquête n'a été menée suite à ce détournement caractérisé.