L'écrivaine nous parle avec enthousiasme de ses nouvelles fonctions, de ses passions et projets. - Cette année, l'ANEP a présenté ses parutions à la presse au sein d'une librairie. Une nouvelle tradition ?
Cette année, l'ANEP a édité plus d'une quarantaine de titres. Si toutes les maisons d'édition en faisaient autant, nous aurions chaque année 500 à 600 titres à proposer aux lecteurs et aux bibliothèques. Je suis là depuis trois mois, je tente d'instaurer de nouvelles traditions dans les relations avec les médias. Dès mon arrivée à l'ANEP, j'ai rencontré les journalistes culturels. La plupart sont des amis, mais je cherchais à avoir un nouveau rapport en tant qu'éditrice. Nous avons organisé une conférence de presse pour présenter notre catalogue 2013 à la librairie Errachidia d'Alger-centre. J'estime que le temps est venu pour que les ministres, les responsables et les citoyens visitent les librairies et pour que le livre attire les lecteurs vers lui. L'ANEP possède deux librairies à Alger, à l'avenue Pasteur et à la rue Khelifa Boukhalfa. Il est de mon devoir de faire la promotion de ces deux espaces et de présenter ce que nous produisons comme ouvrages. A Alger, les activités culturelles au sein des librairies sont rares. Comparé aux capitales européennes ou arabes, c'est peu. Il n'est pas normal qu'on organise une vente-dédicace une seule fois par mois. Les librairies doivent sortir de leur silence.
- Vous comptez organiser des ventes-dédicaces dans vos libraires…
Sûrement ! En accord avec la direction de l'ANEP, nous allons lancer un café littéraire ouvert aux romanciers, poètes, artistes, académiciens, chercheurs, journalistes, cinéastes, comédiens... ; bref, tous ceux qui ont un rapport avec la culture. Nous envisageons d'y organiser une activité par semaine, et ce, à longueur d'année. Nous projetons également d'inviter mensuellement des auteurs étrangers pour des conférences-débats. Pour ce qui est de l'édition, notre activité se poursuivra toute l'année. On n'édite pas uniquement pour le Salon international du livre d'Alger. En tant qu'entreprise d'Etat, notre intérêt n'est pas uniquement de vendre les livres, mais de maintenir une activité éditoriale continue. Il est de notre devoir de publier des livres d'histoire, des livres pour enfants, des livres sur le patrimoine culturel…
- Avez-vous l'intention de renforcer votre réseau de librairies ?
Oui, cela est prévu. Mon prédécesseur (Mohamed Balhi, ndlr) avait travaillé à ce projet que je compte concrétiser avec l'accord de la direction. Le projet est d'avoir une librairie dans chaque wilaya. En attendant, nous allons organiser des ventes-dédicaces de nos auteurs dans tout le pays, à commencer par le sud. Une manière de promouvoir nos ouvrages et de les mettre à la disposition des lecteurs de l'intérieur du pays… Je me rappelle que dans les années 1990, il était difficile de trouver un livre dans une librairie à Tizi Ouzou. J'ai même eu un conflit avec des enseignants à cause d'un roman de Benhadouga : il n'y avait qu'un seul exemplaire dans une bibliothèque publique, rendez-vous compte ! Nous voulons élargir les cercles de lectorat en Algérie.
- Quel état des lieux faites-vous de la distribution du livre ?
Il est important, voire vital de sortir d'Alger. Les livres, les périodiques, les revues, les journaux doivent être distribués partout en Algérie. Peu de maisons d'édition font l'effort de distribuer à l'intérieur du pays. Je connais des personnes qui se déplacent du sud du pays vers Alger pour acheter un livre, cela leur coûte très cher. C'est honteux ! Editeurs et distributeurs doivent s'entendre pour trouver une solution afin que le livre soit disponible au niveau national, car cela ne sert à rien d'éditer des ouvrages et de les laisser dans les dépôts.
- Est-ce que l'ANEP est disposée à travailler avec les autres éditeurs pour améliorer la distribution des livres ?
Bien sûr que nous sommes pour ! Les acteurs de la chaîne du livre doivent fédérer leurs efforts pour assurer une bonne circulation du livre. Il n'y a pas de différence entre éditeur privé ou public. Au SILA, le public ne fait pas cette différence, car le plus important c'est le livre exposé. Si cinq ou six éditeurs s'entendaient sur un minimum, il serait possible d'élaborer un plan pour distribuer les livres. Pourquoi ne pas penser, par exemple, à organiser de temps à autre des caravanes livresques. Enrichir les bibliothèques municipales est un devoir. Il y a toujours des livres qui restent dans les entrepôts. Il faut les envoyer à ces bibliothèques qui peuvent devenir des espaces de rencontre pour les jeunes. Vous pouvez imaginer l'importance d'une bibliothèque riche en ouvrages à Tindouf, Ouargla ou Illizi. J'appelle tous les éditeurs à offrir annuellement au moins un exemplaire de chaque ouvrage édité à chaque bibliothèque municipale…
- La qualité d'édition a quelque peu changé à l'ANEP…
Nous avons fait un effort sur la qualité du papier, surtout pour les romans et les recueils de poésie. Personnellement, je peux lire un roman en une nuit. Mais je ne peux le faire si le livre est édité en papier blanc qui fait mal aux yeux ! Nous avons décidé d'utiliser un papier ivoire de bonne qualité pour la littérature. Un choix que j'assume entièrement, surtout que je me sens concernée en tant qu'écrivaine. Concernant les prix, nous avons mis en place un logiciel qui les calcule en fonction de la pagination, de la qualité du papier, du volume… Dans les contrats, nous prenons en compte la notoriété et l'audience des auteurs. C'est variable. Je refuse qu'un livre soit vendu à plus de 800 DA. L'habitude de lecture est presque inexistante chez les jeunes qui sont envahis par les instruments électroniques, les réseaux virtuels... Certains peuvent pirater sans aucun problème un livre sur internet. Pas besoin pour eux d'aller l'acheter en librairie. Il y a des étudiants qui téléchargent des exposés entiers de philosophie ou de littérature et les présentent comme leurs propres travaux ! Cela dit, il existe toujours un lectorat pour la littérature, l'histoire, la politique, les sciences… Les journaux s'intéressent aux publications. Il y a des analyses, des critiques. Les éditions publient chaque année des nouveaux livres, des romans, de la poésie…
- Qu'est-ce qui marque la rentrée littéraire à l'ANEP ?
Nous avons lancé de nouvelles collections selon les thématiques, les genres et formes d'expression. Il y a de tout : la communication, l'histoire, la poésie, les romans, les arts visuels… Ces collections doivent continuer dans le temps. Je n'aime pas qu'un livre reste orphelin. Nous avons désormais des noms qui font partie de notre collection littéraire, à l'image de Allaoua Hadji, Saïd Khatibi, Hadjer Kouidri, Abderazak Boukeba et d'autres… Des noms qui peuvent faire gagner des prix littéraires à l'Algérie. J'ai lu leurs livres et je connais la valeur de leurs textes édités par l'ANEP cette année. Nous avons ouvert nos portes aux jeunes écrivains de l'intérieur du pays. Moi, qui suis originaire de Tizi Ouzou, j'ai pu me faire connaître grâce au soutien du journaliste Hamid Abdelkader (El Khabar) qui avait accepté de publier une de mes nouvelles quand j'avais 13 ans. Cela m'a encouragée dans l'aventure littéraire. J'ai lancé un appel, à travers facebook et les médias, pour que les jeunes auteurs envoient leurs manuscrits. Le seul critère de publication retenu est le travail fourni. Il est évident qu'il existe des normes et des règles d'écriture. Nous refusons les travaux superficiels ou immatures. Nous avons installé un comité de lecture composé d'universitaires spécialisés. Il reçoit les textes sans les noms des auteurs pour une neutralité complète. Il reste que ce comité est consultatif. Il peut arriver qu'il refuse un texte que j'accepte.
- Et que devient Samira Guebli, l'écrivaine ?
J'espère que l'éditrice ne dominera pas l'écrivaine ! Je n'abandonnerai jamais l'écriture. J'ai un projet de roman que je n'ai pas pu terminer pour cette rentrée. Il s'intitule Khamssa. J'essaie de trouver une zone médiane. Tout n'est pas noir ni blanc. J'essaie d'évoquer les raisons et les conséquences d'une erreur à travers une relation humaine. L'histoire se déroule dans les années 1970 dans un village. Je tente d'interroger la terre, le temps, les parfums d'époque, la nature, la simplicité… loin de tout ce qui est emballé, prêt à utiliser, insignifiant que l'on voit de nos jours. Mes personnages porteront d'anciens prénoms… Un certain retour au passé, au patrimoine. Je reprends dans le roman la qasida Dhalma (chantée par Hadj Tahar El Fergani, ndlr). Dahmane El Harrachi était présent dans mon précédent roman, Une balle en tête, racontant l'histoire du journaliste qui affrontait le terrorisme, la difficile réconciliation, les questionnements sur le pardon… Khamsa paraîtra bientôt aux éditions Casbah, peut-être dans moins d'une année.