L e recours au classique motif médical a épargné au général Lamari de rendre publiques les causes réelles de sa démission de son poste de chef d'état-major et à Bouteflika de motiver son acceptation. Mais tout le monde sait que le général Lamari a décroché depuis le 8 avril dernier et que son départ n'était qu'une question de temps : les profondes divergences qui existaient entre les deux hommes forts du pays étaient connues de tous car souvent ouvertement étalées devant l'opinion publique. Celle-ci a compris que tout était définitivement fini entre eux lors de la visite à Alger de la ministre française de la Défense, Michelle Alliot-Marie, durant laquelle était absent le général Mohamed Lamari. Ce dernier s'est toujours opposé à Bouteflika sur la gestion du dossier de l'islamisme politique, ne partageant pas sa philosophie générale consistant à réserver une place aux islamistes sur la scène politique nationale. Un des piliers, avec Khaled Nezzar du mouvement dit des « janvieristes », ceux qui ont interrompu le processus électoral il y a quatorze ans, le général Mohamed Lamari, était partisan de l'éradication de l'islamisme politique au motif que sa vocation est de servir de terreau au terrorisme. Estimant que les islamistes avaient subi une « violence » le 12 janvier 1992, Bouteflika s'était, en revanche, rapproché de ce courant depuis son arrivée au pouvoir, lui confectionnant une loi sur la « concorde civile », lui faisant cadeau d'un décret portant « grâce amnistiante » et lui préparant un texte sur la « concorde nationale ». Les deux décideurs étaient donc aux antipodes sur cette question-clef de la crise algérienne mais ils partageaient l'idée, peut-être pas pour les mêmes raisons, que l'armée devait amorcer un processus de retrait définitif de la vie politique. Une idée partagée également par l'opposition pour qui le moment est venu pour les militaires de tourner la page, de cesser de faire et de défaire les présidents de la République et de tirer les ficelles politiques de l'ombre : en retournant aux casernes, l'Armée doit se consacrer essentiellement à la professionnalisation et à la modernisation de ses troupes. On n'en est pas encore là, mais les choses semblent avancer dans la bonne direction. Ce qui est sûr, en revanche, aujourd'hui, c'est que le départ du général Lamari et son remplacement par le général Ahmed-Salah Gaïd, un militaire peu porté sur la politique et assez effacé, laissent les mains libres à Bouteflika dans son traitement du dossier de l'islamisme politique, ce qui ne se fera pas sans grincements de dents au sein de l'institution militaire. Reste à savoir comment l'ANP digérera ce changement, si elle le verra comme salutaire ou comme un règlement de comptes d'appareils.