Où l'on retrouve un personnage de la vie culturelle algéroise des années '70 et '80. - Dans quelles circonstances avez-vous découvert la peinture ?
Lorsque j'avais trois ans, suite à la grève des étudiants de 1956, les militaires ont mis tous les enfants de mon village d'alors, Tamda, à l'école. J'étais dans le lot. Comme je savais lire et écrire – grâce à ma mère et par esprit d'émulation vis-à-vis de mon aîné – l'instituteur m'a gardé. Quelques années plus tard, j'ai dû aller vivre chez mes grands-parents à Tizi Ouzou. Et c'est là que j'ai découvert les œuvres de mon grand cousin, le peintre Azouaou Mammeri. C'était la guerre. Son fils, Driss, avait demandé à mon grand-père de regrouper et de préserver ses peintures restées en Algérie. J'ai donc baigné dans cet univers pictural (portraits, paysages...) accroché aux murs. Par la suite, au lycée El Mokrani de Ben Aknoun (Alger), j'ai eu la chance d'avoir pour professeur, dès la sixième, Oscar Spielmann, un peintre tchèque. Son enseignement était d'une grande rigueur et d'un haut niveau. A la limite d'un enseignement d'une école des Beaux-Arts classiques.
- Les années 1970 ont été fructueuses en matière de vulgarisation de votre peinture et poésie. Quelle était la nature de vos activités ?
Au début, nous étions trois personnes : mon ami Yacine, mon frère Aziz et moi-même. Notre première manifestation culturelle s'est matérialisée par l'organisation d'une exposition de peinture à la galerie des «Quatre Colonnes» (ndlr : actuel hall de l'APN) à Alger en 1973. Nous avons agrémenté ces expositions d'écrits poétiques. C'est ainsi que nous avons réalisé de la poésie illustrée. Afin d'élargir notre cercle et de partager notre passion avec le plus grand nombre, nous avons organisé des expositions suivies de débats dans des campus universitaires et quelques villes algériennes : Oran, Blida, Boufarik, Boumerdès… Les échanges avec notre public étaient très riches et passionnés car nos interrogations interpellaient nos interlocuteurs. J'ai continué à écrire, à peindre et à exposer jusqu'en 1977, date de mon entrée à Radio Chaîne 3 où j'ai produit et animé une émission culturelle. En 1993, j'ai quitté l'Algérie. C'est alors que j'ai recommencé à peindre.
- Vous avez cessé de peindre pour faire la promotion des autres artistes. Comment expliquez-vous ce positionnement ?
Il me semblait qu'animer des émissions à vocation littéraire et artistique et communiquer avec des auteurs et des artistes-peintres était une autre manière de créer. Pendant seize années, j'ai rencontré pratiquement tous les peintres de l'époque : M'hamed Issiakhem, Mohamed Khadda, Moussa Bourdine, Denis Martinez, Larbi Arezki, Salah Malek... Mon émission a été aussi l'occasion de découvrir des talents dont les œuvres n'étaient pas encore prises en considération et qui n'auraient pas pu se faire connaître autrement. Je leur offrais un lieu d'expression où ils parlaient librement, dans la langue de leur choix. A l'époque, le «désert culturel» dont parlaient ceux qui valorisaient la «culture officielle» n'existait que dans leur tête. La «vraie» culture, celle qui était dynamique et se pratiquait au jour le jour n'avait pas forcément le rayonnement qu'elle méritait ni les espaces médiatiques pour cela.
- Quelles sont vos influences picturales ?
Les années passées à la radio m'ont fourni l'opportunité de m'intéresser à l'esthétique d'un point vue à la fois intellectuel et pratique. J'ai découvert les différents mouvements picturaux à travers le monde. Je me suis documenté sur la peinture algérienne, sa naissance, ses caractéristiques, ses différentes tendances. Car, jusqu'à une certaine période, elle était considérée comme un genre cantonné dans le champ de l'art indigène. Je suis plutôt influencé par l'impressionnisme et la peinture moderne. J'ai tenté d'explorer plusieurs techniques. Mon style a oscillé entre le symbolisme, le semi-figuratif et l'abstrait. En réalité, je n'ai pas de préférence pour un style particulier. Mais je dirai que ma peinture est plutôt semi-figurative. L'exploration et l'expérimentation en matière de formes et de couleurs sont des éléments importants dans la démarche d'un peintre. C'est un moyen qui favorise l'expression. Car lorsqu'on peint, on raconte l'histoire d'un moment : l'instant de la création. J'ai tenté d'intégrer de nouveaux matériaux tels que le fil de plomb utilisé pour les vitraux. Il fut une époque où j'avais envisagé de travailler sur des radiographies. Mais j'y ai très vite renoncé car je n'avais pas trouvé le bon moyen pour les graver.
- Des femmes au labeur, des hommes songeurs, souriants, soucieux, des lieux, des symboles et bien d'autres aspects caractérisent votre peinture. Quelles sont vos sources d'inspiration ?
Je me nourris de mon environnement. Je m'inspire de mes origines, de ma culture, de mon Algérie et de ses héritages culturels : africain, grec, romain, phénicien, méditerranéen. Je me nourris de littérature, de différentes approches de personnes que je rencontre, d'écrivains tels que Saint Augustin ou Apulée qui est le premier à avoir posé la problématique de l'élévation de soi dans un roman. J'ai rencontré beaucoup d'hommes et de femmes qui m'ont influencé et façonné. J'ai intitulé l'exposition organisée en mars 2013 à l'Association Culturelle Berbère, «Fragments de mémoire». Car quand on a tout oublié, il reste la mémoire. Je peins des visages que j'ai rencontrés, les cardeuses, les porteuses d'eau... des lieux que j'ai traversés, des événements qui m'ont marqué, des scènes qui ont retenu mon attention.
- Quel est votre regard sur la création artistique picturale en Algérie ?
Globalement, il y a eu deux grandes voies en matière artistique. Il y avait les artistes qui interrogeaient le signe, notamment le Groupe Aouchem (Tatouages) qui utilisait le signe et les symboles berbères et la calligraphie. Puis, il y avait la culture de «l'art officiel» qui s'intéressait au socialisme «pictural» dans le domaine de la sculpture notamment. Auparavant, dans le cadre des «Arts Indigènes», il y avait l'enluminure et la miniature. Plus tard, les peintres se sont libérés des «contraintes identitaires» pour s'inscrire dans l'art moderne, prendre part à l'expression dans la peinture universelle. Ils n'étaient plus des peintres algériens au sens restrictif du terme, mais des artistes qui se revendiquaient en tant que tels.
- «Fen-Art» est un projet à vocation culturelle qui vient de voir le jour à Paris. Quel est son principal objectif ?
Au-delà des écoles, des moyens d'expression, des différents supports et différentes pratiques, nous avons voulu, avec «Fen'Art», mettre en synergie toutes les potentialités créatrices d'artistes désireux de prendre part à ce projet qui se veut solidaire avant tout. «L'art est union» quand il se veut aussi communion pour une meilleure visibilité et lisibilité des diverses et multiples créations. Notre association est donc ouverte à tout plasticien ou artiste désireux d'en faire partie.