Cela fait 30 ans qu'Ahmed Zergui, chanteur belabésien iconique des années 1970-1980 dans le genre raï, nous a quittés à seulement 35 ans. De son vrai nom Hammam Ahmed, Zergui est décédé dans un tragique accident de la circulation, survenu le 27 novembre 1983, sur la route de Tenira, alors qu'il était au volant de sa Honda Accord. 30 ans après, son souvenir et ses chansons restent encore prégnants dans l'esprit de ses innombrables fans. «Ses fidèles compagnons instrumentistes, paroliers, berrahine et autres interprètes n'ont pu supporter le choc et durent alors attendre plus de quinze ans avant de se résoudre à reconstituer le groupe initial pour perpétuer le souvenir et l'œuvre du cheikh», se souvient encore Mir Mohamed, journaliste et fin connaisseur du mouvement raï à Sidi Bel Abbès. «Zergui chantait, quelques mois seulement avant son ‘‘départ'', ces terribles vers prémonitoires : ‘‘Dirou qabri mettarf lija izorni'' (Creusez ma tombe là où bon vous semblera pour celui qui voudra la visiter)», tient-il à rappeler pour l'histoire. Idole de toute une génération, Zergui est né avec le don de la musique et de la chanson raï. Du chaâbi au raï electro. Ce cheminot de profession allait d'abord se produire en solo, à l'occasion de mariages traditionnels dans Alger des années 1970, interprétant pour la circonstance des morceaux chaâbi et meghrabi avec une certaine préférence pour Dahmane El Harrachi et Abdelhadi Belkhayat. «Ce n'est qu'à son retour sur les rives de la Mekerra, dominée dans les années 1960 par la musique anglo-saxonne et ses Aigles noirs, The Difters, The Young-stars, The Figures et autres Basil's session, qu'il se décida enfin à former son fameux groupe des Frères Zergui», précise Mir Mohamed. Les membres de son groupe, dont certains sont toujours de ce monde, ont pour noms Abdekader Zaâret (Abassi de son vrai nom), Kacem Atek, Kadi Klouche, Sikki, Demouche, Kaddour, Boucheta, Houari Tobbi, Kouider Bengamra, Azziz El Magraoui, Yahiaoui Abbès, Messabih (berrah), Loulou et cheb Drici. Les Frères Zergui, qui n'étaient pas à vrai dire frères de sang mais de son et de poésie, allaient à partir des années 1970 faire résonner les plus belles notes et mélodies du raï electro, déchaînant au passage toutes les passions. Aussi bien dans le «Petit Paris» d'antan qu'en Oranie. Delali ha delali Avec des tubes tels que Delali ha delali, Ana ma nouelich, Khalti Fatima, Moulat el khana, A'la zargua, A'tatni hdiya, Bessif enoualefha, Merkhouft elhzam, Ma hchemti, A'lach fakertouni biha, Wach djabek liya ou encore Nacera, les sorties et soirées psychédéliques des Zergui & Co donneront corps à un véritable phénomène de société. «A tel point qu'ils déclenchaient partout un mouvement de foule extraordinaire à chacune de leurs apparitions», témoigne notre confrère qui, lui-même, s'était laissé, plus d'une fois, entraîner par ce «mouvement» en gestation. Les chansons de Zergui remporteront en peu de temps un formidable succès auprès des jeunes, au point qu'elles seront reprises à foison par les chebs Khaled, Yazid, Yacine, Mimoun et le groupe Raïna Raï. C'est que le style Zergui a, en cela, la particularité d'avoir introduit la pédale «wa wa» dans la chanson raï avec une particularité musicale propre à l'école belabésienne déclinée en «la majeur» pour ce qui est de la mélodie et les roulements récurrents de la batterie en ce qui concerne la rythmique. Zergui en «La majeur» «Zergui est considéré, encore de nos jours, comme l'un des maîtres de la chanson old raï», souligne Mir. Poète, parolier et auteur compositeur de chansons raï, cheikh Naâm trouve qu'il est primordial de préserver la mémoire de celui qui a marqué son époque en y laissant son empreinte. Indélébile. Il a d'ailleurs préconisé, à l'occasion d'un hommage rendu en 2010 par le commissariat du festival du raï à Zergui, de consacrer un ouvrage à la vie et à l'œuvre de cet artiste du quartier d'El Graba. «Zergui est, aujourd'hui encore, considéré comme celui qui a donné forme à la musique raï, mais dont la vie et l'œuvre sont toujours méconnues», témoigne son compagnon qui lui vouait une profonde amitié. Dans un entretien accordé à El Watan en 2010, cheikh Naâm affirmait que le meilleur hommage qu'on puisse rendre à Zergui serait de redonner vie à ses œuvres et de retracer son parcours artistique du milieu des années 1970 jusqu'à sa mort tragique, en 1983. Selon lui, un ouvrage sur Ahmed Zergui est plus que nécessaire afin de restituer fidèlement l'évolution de la musique raï, non seulement à Sidi Bel Abbès, mais à travers toute l'Oranie. «Ceux qui ont créé la troupe des Bruneaux, devenue par la suite le groupe Frères Zergui, sont encore vivants et peuvent apporter leur contribution à l'écriture de l'histoire du raï», appuie-t-il. Je peux citer, entre autres, les Gamra, Zaâret, Atek, Klouche…», dira Naâm.