Jugée par le tribunal criminel d'Alger, l'affaire dite du trafic de cocaïne dans laquelle sont impliquées une vingtaine de personnes, dont des stewards, s'est terminée avec un verdict sévère pour certains accusés, clément pour d'autres. Elle a marqué l'opinion en raison des graves révélations faites par certains avocats et des lourdes peines requises contre l'ensemble des accusés, pour la plupart de jeunes stewards, plus victimes qu'accusés. Retour sur un procès par comme les autres… Hellou Youcef, 38 ans, steward, avait été arrêté à l'aéroport d'Alger, à son retour de Bamako, en possession de 200 g de cocaïne. Très convainquant, d'une rare spontanéité, il révèle tous les détails de son implication dans cette affaire. «Vous faites partie de quel groupe ? Bamako, Marseille ou l'Espagne ?», interroge le juge. L'accusé répond avec une naïveté déconcertante : «De Bamako.» Le magistrat lui demande combien de fois il a consommé de la cocaïne. L'accusé : «Trois ou quatre fois à Bamako, avec Hadji Mounir, Slimane Chakib Mohamed Ramzi. Une seule fois chez ce dernier.» Le juge : «Combien de fois avez-vous transporté de la cocaïne ?» Hellou : «Deux fois. La première au mois de septembre 2011 et la seconde, le 2 octobre lorsque j'ai été arrêté. Farsi Abdennour m'a donné une somme de 2075 euros à remettre à Brahim, un Malien qui, selon lui, devait lui acheter des choses. A Bamako, Brahim est venu me voir. Je lui ai remis l'argent. En contrepartie, il m'a donné deux petits sachets. Je ne savais pas ce qu'il y avait dedans. Ma mission était de les remettre à Farsi. Mais j'ai eu très peur. Je suis passé par les contrôles et personne ne m'a soupçonné.» Le juge : «Etiez-vous attendu par un groupe de passeurs ?» L'accusé : «Non. J'ai été fouillé, mais pas comme les passagers en raison de ma fonction. Farsi m'a appelé vers 4h. On s'est donné rendez-vous et je lui ai remis le paquet. Il m'a glissé 42 000 DA en me disant que le reste, 28 000, me sera remis après. De retour à la maison, Hadji Mounir m'a téléphoné pour me réclamer 20 000 DA, parce qu'il avait servi d'intermédiaire. Quelque temps après, Farsi m'a proposé de remplacer quelqu'un sur Bamako, en m'assurant qu'il pouvait me programmer sans aucune difficulté (…). Il m'a donné 6435 euros à remettre à Brahim, le Malien, en contrepartie d'une somme de 100 000 DA. Les sachets étaient plus volumineux. J'ai eu très peur, mais je les ai dissimulés. A Alger, un dispositif sécuritaire important était déployé. Je suis passé par le scanner, puis par une fouille au corps. Ils m'ont arrêté. Je leur ai dit que la marchandise était destinée à Farsi Abdennour. Ce dernier m'a appelé sur mon portable pour voir si j'étais arrivé. On s'est donné rendez-vous. J'y suis allé pour aider à son arrestation. J'ai dit toute la vérité malgré les menaces que j'ai reçues de la part de certains accusés, dont Slimane Chakib.» Hellou répond avec une spontanéité incroyable et dégage une honnêteté dans ses propos. Il jure qu'il «ne mesurait pas» la gravité de ce qu'il faisait et que «c'était juste pour frimer. J'ai même pris en photo la marchandise pour épater les bons vivants que je rencontre dans les soirées entre collègues», citant au passage Hadji Mounir, Slimane Chakib, Réda Sika. Il met mal à l'aise Farsi Abdennour, 36 ans, steward à Air Algérie. D'emblée, Farsi nie tous les faits rapportés par son collègue. «Je ne connais pas Hellou (…). J'ai acheté de la cocaïne une ou deux fois, pour ma consommation, auprès de Hadji Mounir.» Toutefois, il reconnaît avoir hébergé durant une semaine Brahim, le Malien, lors de son escale à Alger alors qu'il revenait de Chine. «Je l'ai hébergé et s'il avait voulu rester plus, je l'aurais gardé. Durant 20 ans, il a servi de coursier au personnel d'Air Algérie.» «Je reconnais avoir été utilisé comme mule» Le juge appelle Bayoudh Mohamed, 54 ans, chef de cabine. «J'ai rendu service à un collègue de travail, dans le cadre du travail, et je me retrouve au box des accusés.» Le magistrat lui demande d'être plus explicite. «Farsi Abdennour m'a demandé de l'aider. Il m'a remis 1000 euros à remettre à Brahim, comme cadeau pour son mariage. J'ai même déclaré le montant à la douane avant de m'envoler pour Bamako. Lorsque j'ai donné la somme à Brahim, il m'a remis du miel et un portefeuille en cuir. De retour à Alger, j'ai donné le paquet à Farsi…» Le président se tourne vers Farsi : «Vous avez déclaré n'avoir jamais rien reçu…» Et l'accusé continue à nier. Le juge s'adresse à Bayoudh : «Saviez-vous qu'il y avait de la cocaïne dedans ?» L'accusé : «Je ne savais pas, mais bien après j'ai deviné et je lui ai dit de ne plus me demander quoi que ce soit. Après 30 années d'exercice dans la compagnie, je ne peux accepter de faire des choses interdites et de servir de mule.» Du box des accusés, Farsi lance : «Je ne lui ai rien donné» et Bayoudh réplique : «S'il ne m'avait rien donné, je ne serais pas là. Il m'a menacé deux fois parce que j'ai parlé des 1000 euros qu'il m'avait remis, y compris devant le juge d'instruction. A cause de ses menaces, le juge m'a placé à El Harrach. J'ai déposé plainte contre lui.» Farsi crie : «Ce n'est pas vrai. C'est un avocat détenu avec lui qui le conseille…» Des propos qui suscitent la colère de certains avocats. Le juge rassure : «Pour moi, ce sont des propos sans importance.» Bayoudh reprend : «J'insiste, c'est Farsi Abdennour qui m'a donné 1000 euros pour les remettre à Brahim.» Il cède sa place à Hadji Mounir, 29 ans, steward, qui rejette toutes les accusations. Il reconnaît néanmoins avoir transporté «une seule fois» de la drogue : «Farsi Abdennour m'a demandé de lui ramener de Bamako une petite quantité de cocaïne de chez Brahim. Il m'a dit que ce n'était que 20 g, qui passent inaperçus. Je les lui ai ramené, mais en lui disant de ne plus compter sur moi. Trois jours après, il m'a remis une enveloppe contenant 20 000 DA. Il a insisté pour que je les prenne, j'ai fini par accepter.» Le procureur général : «Etes-vous consommateur de cocaïne ?» L'accusé : «J'ai essayé une seule fois, avec Slimane Chakib et Lakhdar Hamina.» Le procureur : «Avez-vous été menacé ?» L'accusé : «Oui, en prison, par Farsi Abdennour. Il ne voulait pas je dise que je lui avais ramené de la cocaïne.» Le président appelle Bouras Yazid, 36 ans, gardien au port d'El Djamila (ex-La Madrague), déjà condamné pour des affaires de drogue. Il dément toute relation avec les accusés : «Je surveille les bateaux de plaisance des riches et les voitures de leurs propriétaires quand ils viennent pour des sorties en mer. Comment pourrais-je importer de la cocaïne ?» Le juge : «A qui appartiennent ces bateaux ?» L'accusé : «A des personnalités de Club des Pins et autres…» Le magistrat lui rappelle ses aveux : «Vous avez reconnu avoir acheté de la cocaïne auprès de Farsi Abdennour.» L'accusé confirme en précisant : «Juste 2 grammes, pour ma propre consommation !» Commerçant de son état, âgé 34 ans, Farsi Tayeb nie les faits. Il jure ne connaître que trois des accusés. «Je ne comprends pas ce qui m'arrive. Ils m'ont arrêté et torturé», crie-t-il. Le juge l'interroge sur sa relation avec Yazid Bouras, auquel, selon l'enquête, il aurait vendu de la cocaïne. «Je lui ai donné du linge pour enfants à vendre et non pas de la drogue», dit-il. Le juge : «Ce n'est pas ce que vous avez déclaré au juge d'instruction.» L'accusé : «Il m'a obligé à dire ce que vous lisez…» Des propos qui irritent le président. Il appelle Maghraoui Faycal, 35 ans, importateur d'équipements paramédicaux. Celui-ci nie tout et accuse les officiers du DRS d'avoir tout inventé : «Lorsque j'ai dit au juge qu'ils m'ont forcé à faire des aveux, ils m'ont battu à mon retour en prison !» Zenir Hicham Mohamed Anouar, 31 ans, délégué commercial, rejette lui aussi toutes les accusations : «Ils m'ont violemment frappé et obligé à signer des aveux qu'ils ont eux-mêmes inventés !» «Ils m'ont mis avec un terroriste en lui disant : on t'a ramené un chanteur» Appelé à la barre, Bendjemaa Réda Abdellah, 39 ans, plus connu en tant que chanteur sous le nom de Réda Sika, steward à Air Algérie, jure qu'il est «victime» de son nom et accuse «la presse d'être à l'origine» de sa détention. Le juge : «Pourquoi vous surnomme-t-on Sika ?» L'accusé : «C'est mon nom d'artiste. Je suis chanteur et acteur.» «Je ne connais pas ce nom», lui dit-il, avant de lui demander d'aller aux faits. «En 2008 j'ai consommé, avec Abdennour Farsi, 10 g de cocaïne. Nous étions à Bamako. Depuis, je n'en ai plus repris. Ils m'ont torturé. J'étais avec ceux qui faisaient parler les terroristes. S'ils m'avaient dit que ma mère transportait de la drogue, j'aurais dit oui !» Le juge : «Pourquoi n'avoir pas déposé plainte pour mauvais traitement ?» L'accusé : «Je ne savais pas. Ils nous ont présentés très tard, la nuit…» Maître Brahimi : «Ce sont de graves propos. Si j'étais responsable du DRS, je n'accepterais jamais que mes éléments soient accusés de la sorte. J'ouvrirais une enquête pour sanctionner les auteurs ne serait-ce que pour protéger l'institution.» Le procureur général : «Tout le monde sait que les plaintes d'office pour mauvais traitement sont prévues par la loi et le parquet général est dans l'obligation d'ouvrir une enquête. Pourquoi les avocats n'ont-ils pas déposé plainte ? Ces allégations sont utilisées comme moyen de défense…» Le président appelle Lakhdar Hamina Mounir (neveu du réalisateur), 39 ans, steward à Air Algérie. D'emblée, il accuse : «J'ai été torturé et touché dans mon honneur… Je ne faisais que dire oui. J'ai signé les PV sans connaître leur contenu !» Le juge : «Avez-vous un certificat médical pour le prouver ?» L'accusé : «Non. Monsieur le juge, s'ils m'avaient dit que j'ai transporté 10 kg, j'aurais dit oui…» Ereinté par une journée d'audition, le président lève la séance. Le lendemain, Slimane Chakib Mohamed Ramzi, 29 ans, steward, est le premier à être entendu. Il nie tout, comme ses collègues Aït Tahar Mohamed Mohand Ouali (41 ans), Turkman Mohamed dit Steela (35 ans), Derbah Mohamed dit Girasse (commerçant), Douhki Mohamed, ou encore Oumeziane Billal (25 ans) et Saïd Farid, tous deux stewards. Le juge appelle le lieutenant Hamoudi Mustapha de la sûreté urbaine d'Ouled Fayet. Sa relation avec Bouras, dit-il, date de longtemps. «Notre hiérarchie nous exige de nous rapprocher des citoyens et d'être à l'écoute de ce qui se passe à La Madrague, où il y a de gros problèmes», explique-t-il. Toutefois, il dit ne pas être au courant que Bouras s'adonnait à la cocaïne. Il reconnaît l'avoir accompagné «une ou deux fois» avec son véhicule, sans pour autant savoir qu'il allait récupérer la drogue. Enquêteur principal à la Brigade de recherche et d'investigation (BRI) de la sûreté de wilaya d'Alger, Redouane Guenez affirme que Farsi Tayeb était son ami depuis 2010. Le jour des faits, il lui avait téléphoné pour lui demander de rejoindre son frère Abdennour à Draria, qui lui a annoncé, par téléphone, avoir eu un accident de la route. «Vous venez de Bordj El Bahri jusqu'à Draria pour aider un homme qui a eu un accident. Pourquoi et dans quel but ?», demande le juge. L'accusé : «Parce que c'est un ami qui avait besoin d'aide. Lorsque je suis arrivé, j'ai reconnu le fourgon civil du DRS, mais je ne savais pas ce qui se passait. Ceux qui étaient à l'intérieur ont refusé de me parler. A la caserne, j'ai appris qu'il était recherché par les militaires. Je les ai aidés à l'arrêter. Ils m'ont remercié et, une semaine après, j'ai été inculpé. J'ignore pourquoi ils m'ont poursuivi, mais je sais qu'il y a toujours eu de la concurrence entre le DRS et la BRI parce que nous menons les mêmes enquêtes. Ils pensent que nous leur faisons la concurrence.» Le représentant du ministère public, après un exposé de 20 minutes, demande la perpétuité contre l'ensemble des accusés.