Le 3 décembre, il y a 23 ans était assassiné Saïd Mekbel*, le 3 décembre il y a 4 jours mourait Ahmed Fouad Negm**… Il y a des jours comme ça, traversés par des évènements qui font qu'ils comptent plus que d'autres. Pas tous, car que nous importe que ce 3 décembre mourait aussi le funeste Aussaresses ! Sa mort n'effacera pas les images de l'enfer dans lequel lui et ses acolytes ont plongé notre pays, et ne tournera aucune page comme certains esprits arrangeants l'espèrent. La salle guerre ! Toutes les guerres sont sales. Et Saïd Mekbel a été rattrapé le 3 décembre 1994. Le jour de sa mort, Le Matin publiait un billet qui depuis ne cesse d'être lu pour ne pas baisser la garde. «Ce voleur qui dans la nuit rase les murs pour rentrer chez lui, c'est lui/... Ce témoin qui doit ravaler ce qu'il sait, ce citoyen nu et désemparé c'est lui ». Et malgré la peur d'être égorgé, la hantise de ce cadavre sur lequel on recoud une tête, il termine ce poème-testament par des mots d'espoir, lui qui ne sait rien faire d'autre que «ses petits écrits, lui qui espère contre tout, parce que les roses poussent bien sur du fumier». Poésie précieuse car écrite à l'heure de la vérité, celle de la mort qui rôde. Ces petits riens qui font l'homme. C'était-il souvenu en écrivant ces mots des vers de Negm que nous reprenions dans les années 80 où déjà s'annonçaient les ténèbres d'aujourd'hui ? « Quand la vue s'est éteinte dans les yeux et les cœurs, / Quand ton chemin se perd comme dans un labyrinthe, /Toi qui erres et qui cherches et qui comprends, /Tu n'as plus d'autre guide que la lumière des mots». L'habitué des geôles du Caire aura eu la joie, lui au moins, de voir éclore sur la place Tarhir ses espoirs de liberté. C'est en chantant ces vers que la jeunesse égyptienne fera tomber Moubarak. Devant cette beauté, la liberté dévoilée, avec la fulgurance du poète, Negm nous dit le chemin que devra emprunter notre destin s'il veut s'accomplir : «Pour moi, tous ces jeunes sont les fleurs épanouies de mon jardin. Alors que d'habitude ce sont les parents qui élèvent les enfants, ce sont aujourd'hui nos enfants qui nous éduquent et nous élèvent.» La lumière des mots. Et des images. C'est aussi un 3 décembre, celui de 1930 qu'est né Jean-Luc Godard. Il y a des jours comme ça…
*Directeur du quotidien Le Matin assassiné dans un restaurant à Hussein Dey de deux balles dans la tête. **Poète égyptien, a passé près de 18 années en prison au Caire sous Nasser et Sadate. Plusieurs de ses poèmes ont été mis en chanson par cheikh Imam.