Mehdi Jomaâ prend le relais de Ali Laârayedh, alors que la Tunisie traverse une zone de grandes turbulences avec, notamment, des risques sécuritaires très élevés, une quasi-banqueroute et une crise politique asphyxiante. Tunis De notre correspondant Sans nul doute, l'équipe gouvernementale de Mehdi Jomaâ aura pour principale tâche le rétablissement de la sécurité et l'installation d'un environnement électoral serein permettant une compétition politique libre et démocratique lors des prochaines échéances. Cet objectif exige de maîtriser l'ordre public, de dégager la scène socio-politique de tous les ingrédients risquant de la perturber et d'assurer la neutralité de l'administration. Le prochain gouvernement aura également à faire face à une situation socioéconomique très difficile avec une note souveraine très dépréciée, des finances publiques très déficitaires, une inflation galopante et une pauvreté rampante. Pouvoir et opposition sont unanimes concernant le check-up de la situation en Tunisie avec un diagnostic sans appel, signifiant une pleine crise généralisée. La nuance réside toutefois dans la délimitation des origines de cette crise. Alors que les analystes de la troïka au pouvoir se limitent à mettre l'accent sur le côté économique de la crise qu'ils expliquent par la récession chez les partenaires économiques de la Tunisie ainsi que par le fardeau des fonds alloués à la subvention, les analystes de l'opposition et des organisations nationales (UGTT et UTICA) accusent le gouvernement de la troïka d'incompétence et de mauvaise gouvernance, en plus de l'indifférence (voire même la complaisance) du pouvoir face aux premiers signes de l'implantation du terrorisme en Tunisie. Le gouvernement de Mehdi Jomaâ est donc appelé à découvrir les véritables raisons des maux intrinsèques de la Tunisie du moment qu'il s'agit d'un gouvernement de compétences indépendantes. Mais la nouvelle équipe sera-t-elle en mesure de se frayer son propre chemin et d'échapper aux tiraillements dominants sur la scène politique ? Le gouvernement de Mehdi Jomaâ sera face à la délicate contrainte d'indépendance politique qui a accompagné sa venue. Laquelle impartialité serait même la condition sine qua non de sa réussite. L'indépendance, l'autre enjeu Cette équipe va en effet gouverner dans un environnement politique très divisé et, surtout, très tendu et elle est appelée à le déminer pour créer les conditions propices à des élections démocratiques. Le prochain gouvernement aura toutefois à appliquer les termes de la feuille de route du Quartette qui consiste, entre autres tâches, à réviser les nominations partisanes décidées par ses prédécesseurs dans les postes sensibles de l'Etat, à commencer par les ministres. A ce niveau, une grande interrogation porte sur le prochain détenteur du portefeuille de la Justice, car un véritable bras de fer oppose les différents intervenants dans ce secteur très sensible. Les juges viennent d'exécuter deux grèves générales contre des nominations opérées par des ordonnances de l'actuel ministre, Nadhir Ben Amou. Les juges considèrent en effet que les nominations sont du ressort de l'instance supérieure de la magistrature élue par la corporation. Le prochain ministre aura donc à se prononcer sur ce différend que le Tribunal administratif a déjà tranché contre le ministère, en invalidant ses nominations. Son indépendance dépendra de la position qu'il va prendre sur ce dossier.Le dossier de la révision des nominations opérées sous les deux gouvernements d'Ennahdha (Hamadi Jebali et Ali Laârayedh) est également d'une grande importance. De pareilles décisions donneront une idée sur la marge réelle de manœuvre de ce gouvernement dépendant légalement d'une Assemblée nationale constituante dominée par les islamistes d'Ennahdha. Rappelons toutefois que Mehdi Jomaâ a détrôné deux PDG, nommés par Ennahdha à la STEG et au groupe chimique tunisien. Il avait alors mis sa démission en jeu pour imposer ses décisions au chef du gouvernement alors qu'il est ministre de l'Industrie et a eu gain de cause. Les actes cités plus haut ont largement pesé en la faveur de Mehdi Jomaâ lors de sa nomination à la tête du prochain gouvernement. Mais aura-t-il les reins suffisamment solides pour faire preuve de la même rigidité sur le terrain politique ?