L'actuel ministre tunisien de l'Industrie, Mehdi Jomaâ, a été proposé par le Dialogue national pour suppléer Ali Laârayedh à la tête du prochain gouvernement. Cette proposition de dernière minute n'a été soutenue que par 9 partis parmi les 22 présents au Dialogue national. Pourtant, le quartette l'a préférée à une déclaration d'échec. Tunis De notre correspondant Il n'y avait pas avant-hier de véritable consensus au sein du Dialogue national autour de n'importe quel candidat pour suppléer Ali Laârayedh à la tête du gouvernement. Mehdi Jomaâ n'a récolté que 9 voix parmi les 22 partis composant le spectre politique du Dialogue national. C'est donc très loin du consensus recherché par le quartette des organisations parrainant le Dialogue depuis des mois d'âpres négociations pour trouver la personnalité à placer à la tête du gouvernement. Mehdi Jomaâ n'est en effet soutenu que par 2 partis parmi les 7 composant le noyau central dudit Dialogue. Il n'y avait avec sa candidature qu'Ennahdha et Ettakattol, alors que Nidaa Tounes a quitté la réunion du Dialogue national, refusant le diktat. Le parti Al Joumhouri n'a pas participé au vote. Al Massar et le Front populaire ont remis des bulletins blancs alors que l'Alliance démocratique a voté Jalloul Ayed. Comment Mehdi Jomaâ est-il donc passé ? Hassine Abbassi et les autres membres du quartette étaient avant-hier devant un dilemme que Rached Ghannouchi a expressément divulgué dans sa déclaration après la désignation de Mehdi Jomaâ : «Le parti Ennahdha ne remettra le pouvoir qu'à une partie en laquelle il a confiance.» En d'autres termes, Ennahdha veut avoir une sorte de droit de veto sur le prochain chef du gouvernement et le quartette avait à choisir entre la résignation et la déclaration de l'échec du Dialogue national, avec toute l'incertitude qu'il y a derrière. Et, prudentes comme toujours, les organisations nationales tunisiennes (UGTT, Utica, LTDH et Ordre des avocats) ont préféré éviter l'inconnu. Dans son analyse dudit dilemme, le politologue Hamadi Redissi rappelle que «le parti Ennahdha a préparé deux options pour son veto : soit le passage en force à travers le Dialogue national, ce qui a été fait, ou un ‘‘veto'' ultérieur à l'ANC, seconde ligne de défense d'Ennahdha, où les islamistes activeraient les ‘‘illuminés'' du CPR et prétendraient un dérapage de leur groupe parlementaire pour contrer tout candidat à la tête du gouvernement qu'ils n'auraient pas pu empêcher, le cas échéant». «Le quartette a opté, encore une fois, pour la prudence, en parrainant un choix stipulant que la Tunisie aura des élections sous un gouvernement de technocrates à l'image de Mehdi Jomaâ. Aux yeux de l'UGTT et consorts, faire les élections sous un gouvernement flirtant avec Ennahdha (du moment que Jomaâ n'est qu'un ministre de Laârayedh), c'est mieux que de plonger le pays dans l'incertitude», poursuit le politologue. Réactions mitigées En conclusion, le professeur Redissi pense que «le parti Ennahdha n'a pas gagné avec ce scénario. Car les islamistes ne sont pas sortis de leur isolement et vont subir les échecs du prochain gouvernement alors qu'ils sont censés s'écarter de la gouvernance qui n'aura pas les moyens de sortir de sa crise lors des prochains mois». Le président d'Ennahdha, Rached Ghannouchi s'est réjoui de la nomination de Mehdi Jomaâ. Il a considéré que «c'est une nouvelle victoire de la révolution tunisienne». Il a fait timidement allusion à «la légitimité consensuelle du Dialogue national» et fait miroiter l'idée d'un «conseil de sages» pour épauler le gouvernement technocrate. Promesse à peine voilée à Béji Caïd Essebsi qui «n'est pas dupe pour accepter un tel rôle», estime Hamadi Redissi. «Le président de Nidaa Tounes est plutôt pour un Conseil supérieur de l'Etat avec de véritables prérogatives, qui sera au dessus du gouvernement et de l'ANC», précise-t-il. Par ailleurs, le président de Nidaa Tounes a fait hier une déclaration à la presse, où il a souligné que «si l'on se réfère aux objectifs tracés par le Dialogue national de trouver un chef de gouvernement consensuel, les résultats montrent que le quartette et les partis politiques n'y sont pas parvenus». Concernant la réaction par rapport au prochain gouvernement et la poursuite du Dialogue national, Béji Caïd Essebsi a déclaré que «Nidaa Tounes va se concerter avec les partis alliés au sein du Front du salut national pour adopter une attitude commune». A rappeler que la feuille de route du quartette donne deux semaines au nominé pour la formation de son gouvernement et que «les parcours constitutionnel et électoral vont de pair pour réussir la transition».