Ils ont consacré leur vie à l'art, aujourd'hui, ils vivent dans la précarité. Beaucoup d'artistes en Algérie souffrent encore d'un statut mal défini. El Watan Week-end est parti à la rencontre de ces artistes astreints à cumuler deux métiers pour nourrir leurs familles. Tout commence par une photo qui a fait le tour du web dernièrement. Celle du comédien Ismaïl Aïssaoui, plus connu sous le nom de scène Zaabata. Sur le cliché, on le voit assis sur un lit, au milieu de vêtements et de chaussures, dans une camionnette qui lui sert de maison. Dans un reportage sur Ennahar TV, on l'a ensuite entendu parler de son quotidien dans la rue avec son épouse et ses trois enfants. Comme de nombreux artistes algériens, il vit dans la précarité la plus totale. Ses rares et maigres cachets ne lui permettant plus de subvenir aux besoins des siens. Sur le marché artistique, aucun barème de salaires n'est véritablement appliqué. L'acteur toucherait, pour un premier rôle au cinéma, d'après une enquête menée par El Watan Week-end en février dernier, entre 700 000 DA et 1 000 000 DA et pour un second entre 30 000 et 400 000 DA. Concernant les cachets à la télévision, un premier rôle dans une série rapporterait entre 80 000 et 600 000 DA. Pour un scénario de sketch, le cachet est de 5000 à 8000 DA et le doublage rapporterait entre 4000 et 8000 DA. Au théâtre, un comédien peut espérer gagner entre 4000 et 50 000 DA pour une représentation et entre 140 000 et 450 000 DA pour un mois de tournée. Globalement, la période estivale est la plus rentable. Pour les mariages, un chanteur peut toucher entre 100 000 DA et 300 000 DA. Popularité Parfois même plus, tout dépend de sa cote de popularité et son poids sur la scène musicale. Résultat : les artistes algériens jonglent entre différents boulots pour obtenir un salaire décent. Mais la précarité n'est jamais loin. Rezkellah Djilali, célèbre chanteur du groupe Raïna Raï (groupe phare des années 1980), est décédé le 6 novembre 2010 suite à un long combat contre le cancer, dans le plus grand dénuement. Sans argent pour se soigner ni prise en charge pour aller à l'étranger, il n'a pu compter que sur le soutien de ses fans et ses amis artistes algériens qui ont mené une campagne sur le Net en sa faveur et lancé une collecte d'argent afin de lui payer les médicaments et aider sa famille. De son côté, Bariza, elle, se plaint de la situation de l'artiste algérien. «Je n'ai pas d'assurance ni couverture sociale, pas de carte Chifa non plus», tonne Bariza, pilier de la chanson sétifienne. «Sans les fêtes de mariage, j'aurais été sur la paille, je n'aurais pas de quoi vivre.» L'artiste des Hauts-Plateaux dénonce «le piston dont bénéficient toujours les mêmes». Pour elle, tous les artistes ne sont pas égaux. Blessée de ne pas avoir été conviée au Festival de Djemila, à Sétif, elle estime que «c'est au Président de faire le ménage et d'éradiquer les “pirates“ qui sont à la tête de la culture». Drifa, icône de la chanson kabyle, croit aussi que les artistes ne sont pas bien représentés. «Notre culture sombre dans un terrible coma, affirme-t-elle en rejetant la faute aux responsables. Comme tous les autres artistes, je suis malade de cette situation. Si je n'étais pas fonctionnaire à la radio, je n'aurais pas de quoi vivre», confie-t-elle. Statut Pour Mourad El Baez, président de la Fédération nationale des arts lyriques (FNAL) et porte-parole du Syndicat national des artistes algériens, la situation des artistes a tout de même évolué mais il pointe du doigt l'éternel problème du statut de l'artiste. «Dans cette affaire, nous avons les mains liées puisqu'il n'existe pas de texte légal sur lequel se reposer. Je comprends la difficulté de la situation, car elle relève de deux ministères, la Culture et le Travail. C'est pour cela que l'Etat a créé une sorte de Haut-Conseil pour définir qui ouvre droit ou pas à la prise en charge grâce à une étude de dossiers.» C'est au Conseil national des arts et lettres (CNAL), créé en 2011, de régler la situation générale des artistes concernant leur statut et la Sécurité sociale. Constitué de onze membres issus du monde artistique dont font partie entre autres, Bahia Rachedi, Hamidou et Kamel Hamadi, il compte aussi parmi ses membres un représentant du ministère du Travail et une représentante du ministère de la Culture et est présidé par Abdelkader Bendameche. «Le conseil a travaillé activement depuis sa création pour assurer l'avenir des artistes et les faire sortir de la situation critique dans laquelle ils se trouvent, assure-t-il. Le CNAL a aussi comme rôle de définir les critères de la qualité d'artiste.» D'après lui, l'artiste aura bientôt un statut juridique qui lui permettra de bénéficier d'une protection morale et sociale. Pour cela, le conseil s'appuiera sur le palmarès des concernés et une déclaration sur l'honneur. «Voilà plus de 50 ans que nous sommes en stage dans cette République, s'emporte Mustapha Ayad, le fils de Rouiched. L'heure du changement a sonné. Ceux qui n'ont rien à voir avec la culture doivent rentrer chez eux et permettre à la culture de reprendre ses droits avec ses enfants naturels.»