8h du matin, une file commence à se former devant une baraque érigée au milieu de la cité 5 juillet à Bab Ezzouar, où sont proposés à la vente lait et dérivés. Les premières personnes sont déjà là depuis plus d'une demi-heure guettant l'arrivée des camions frigorifiques desservant le quartier en lait pasteurisé en sachet (LPS). Pas question pour ces personnes, la plupart d'entre elles mères de famille ou des retraités (qui ne sont pas tenues par les horaires de travail) de rentrer à la maison sans leurs sachets de lait. Mais ce n'est pas toujours le cas, puisque depuis quelques semaines, précisément depuis mi-décembre, l'offre est loin d'être suffisante. Souvent, le produit est carrément absent des étals. Le même scénario se répète dans d'autres quartiers de la capitale et dans différentes régions du pays. Certains parlent de perturbations dans le circuit de distribution, de réduction des quotas de sachets de lait distribués aux commerçants, d'autres évoquent une pénurie en matières premières laitières. Chacun essaye de trouver une explication à cette situation qui perdure et qui se répète au moins deux fois par an. «Depuis quelques semaines, nous ne recevons pas les quantités nécessaires en lait en sachet», nous dira un commerçant à Alger. Et d'ajouter : «Pour faire face à la demande et satisfaire tout le monde, nous essayons de limiter la vente à deux sachets par personne.» C'est ce que nous avons constaté aux alentours de la cité AADL de Bab Ezzouar la semaine dernière, alors qu'au niveau d'Alger-centre pas trace de LPS une fois les premières heures de la matinée passées. Cela pour dire qu'il y a une forte pression sur le LPS ces derniers jours. Une pression qui intervient dans une période où le lait en poudre, en brique et certains dérivés du lait connaissent une augmentation des prix. C'est ce qui a d'ailleurs accentué cette crise. «Le lait en sachet de 25 DA se fait rare, alors que celui proposé en boîte tetra pack est très cher. Donc, inaccessible à toutes les bourses», se plaint une mère de famille. Les consommateurs l'ont en effet constaté durant la première décade de l'année : les prix du lait (en poudre et en boîte) et des yaourts ont sensiblement augmenté. L'ONIL : «Il y a dysfonctionnement dans la distribution» Conjuguée aux perturbations en approvisionnement en lait subventionné par l'Etat, cette hausse a créé un vent de panique chez la population, notamment les familles ayant de nombreux enfants à leur charge et qui considèrent le lait comme unique source de protéines vu les prix exorbitants affichés par les viandes, les œufs et les poissons. Afin de combler le déficit en protéines d'origine animale, les populations à faible revenu recourent généralement à la consommation de lait comme suppléant aux produits coûteux. A quoi est due cette situation ? Concernant la disponibilité du LPS, du côté de l'Office national interprofessionnel du lait (ONIL), qui a déjà confirmé les achats de poudre de lait pour six mois afin d'assurer les approvisionnements jusqu'au ramadhan 2014, on estime qu'il y a certainement problème au niveau de la distribution du LPS. C'est du moins ce que nous a souligné le directeur de l'Office, Fethi Messar. «Toutes les laiteries sans exception ont reçu et continuent à recevoir leur quotas normatifs. L'ONIL approvisionne les 120 laiteries à travers le pays selon les contrats signés. Nous distribuons 450 tonnes par jour. Ce qui est largement suffisant. Il n'y a pas de pénurie en poudre de lait», nous dira le DG de l'ONIL contacté par téléphone. Même son de cloche au niveau du comité interprofessionnel du lait (CILAIT). Mahmoud Benchakor, président de ce comité, nous rappelle en effet qu'au même titre que la poudre de lait, la livraison du lait cru aux laiteries se fait régulièrement.«Il n'y a aucune perturbation», nous dira-t-il. Et de préciser toutefois que l'apport en lait cru ne représente qu'un cinquième de la production globale, au moment où Fethi Messar parle d'un taux d'intégration de lait cru de 60%. Pour ce dernier, «il y a certainement un dysfonctionnement quelque part. Il est fort possible qu'il soit dans le circuit de distribution.» Selon notre interlocuteur, une enquête est déjà lancée pour connaître les causes de cette perturbation. Un point confirmé par le ministère du commerce. Les consommateurs devant le fait accompli En attendant les résultats de cette enquête, les consommateurs continuent à subir les désagréments de cette crise et se plier en quatre pour faire face aux besoins de leurs enfants en lait. Car il n'est pas du tout aisé financièrement de combler l'absence du LPS par l'UHT (Ultra haute température) vu son prix élevé. «Je ne peux pas me permettre d'acheter le lait en boîte. A raison de deux litres au moins par jour, il me faut 5400 DA par mois rien que pour le lait. Ce qui est loin d'être à ma portée. Il y a d'autres dépenses à prendre en charge», regrette un père de famille rencontré au niveau du supermarché Ardis. Et une autre maman de dire : «Je n'ai pas le choix. Rien que pour mon enfant je continuerai à acheter le lait en boîte en dépit de l'augmentation des prix. Déjà que j'ai des doutes sur la qualité du LPS, je préfère payer cher le lait en brique.» Cependant, ils ne sont pas nombreux à pouvoir s'offrir ce produit devenu plus cher depuis le 1er janvier. Le groupe privé Tchin-Lait a été le premier à annoncer la majoration des prix avant d'être suivi par Soummam. La hausse des cours sur le marché international inquiète les producteurs Contacté à ce sujet, Fawzi Berkati, patron de Candia, justifie cette hausse par le renchérissement des cours mondiaux de la poudre de lait. «Depuis 2010, il y a eu une augmentation douce et progressive des prix de la poudre de lait sur le marché international. Mais en 2012 et 2014, la croissance s'est accentuée. Il y a eu un impact de 40% sur notre fiche des prix représentée à 70% par la poudre de lait. Cette hausse, nous l'avons subie et nous la subissons. Cela ne nous fait pas plaisir», nous dira-t-il avant de s'engager à baisser les prix en cas de réduction des prix sur le marché international. Candia, qui produit 700 000 litres de lait par jour, travaille uniquement avec de la poudre de lait parce que, selon son premier responsable, «il n'y a pas de lait cru en quantité suffisante» et il n'est pas question de jouer sur la qualité du produit destiné à la consommation. «Nous, nous ne badinerons jamais avec la qualité», a tenu à souligner M. Berkati dont l'entreprise boucle cette année son 13e anniversaire avec un prix du litre de lait demi-écrémé qui est passé du simple au double. C'est-à-dire de 50 à 90 DA (contre 95 DA pour les autres catégories de lait) cette année chez le détaillant qui l'achète à 85 dinars (chez le grossiste).Pour le prix à sa sortie d'usine, il est de 80,25 DA. Les intervenants dans toute la chaîne de distribution se partagent les 9,75 DA. Chez Soummam, l'augmentation des prix du lait longue conservation vient de rentrer en vigueur. Les consommateurs ne l'ont pas encore ressentie. Les prix appliqués pour le lait sont toujours les mêmes que ceux de 2013, mais il faut s'attendre à ce qu'ils changent cette semaine. Alors que le prix du lait demi-écrémé était de 67,12 DA/l (75 DA/l : prix de vente aux consommateurs) à la sortie d'usine, il passera 78,25 DA/l pour être cédé chez les détaillants à 85 DA. Les yaourts également n'ont pas échappé à cette hausse avoisinant dans certains cas les 20%. «C'était prévisible avec l'augmentation des cours de la poudre de lait sur le marché international», nous dira à ce sujet Lounis Hamitouche, patron de la laiterie Soummam d'Akbou (Béjaïa) qui produit entre 400 000 et 500 000 litres/ jour avec un taux d'intégration de lait cru de 25%. M. Hamitouche s'interrogera dans le même sillage sur l'impact de tout l'argent dépensé dans le secteur agricole pour la production laitière. «On ne voit pas ou va l'argent. On nous a bloqués et on ne nous laisse pas travailler pour produire plus de lait cru. Si on continue ainsi et avec la baisse de la production mondiale, on risque de ne plus trouver de poudre de lait sur le marché international», prévient-il. Dans une autre région du pays, précisément à M'sila, les représentants de Hodna Lait n'affichent pas une grande inquiétude face à la flambée des prix de la poudre de lait. Il n'est pas question pour cette usine d'augmenter les prix pour l'heure mais de revoir à la hausse le taux d'intégration de lait cru dans le processus de production. «Pour éviter de passer à des prix plus chers, nous avons préféré augmenter la collecte de lait cru», nous dira à ce sujet Saoucha Chouaïb, vétérinaire, chef de service ‘‘collecte'' au sein de cette entreprise. Dans ce cadre, il est prévu le lancement dans les prochaines semaines de deux fermes pilotes de 500 vaches chacune. Quelles que soient les explications données par les uns et les autres, il est clair aujourd'hui que la filière lait en Algérie où la consommation est de plus en plus importante reste tributaire du marché international. Et pour cause, les politiques laitières adoptées jusque-là se sont soldées par des résultats mitigés. Certes, la production de lait a enregistré un accroissement notable mais insuffisant pour couvrir la forte demande, surtout avec un taux d'intégration toujours en deçà des attentes.