Les Egyptiens voteront aujourd'hui et demain pour le référendum de la nouvelle Constitution. Durant plusieurs semaines, la coalition au pouvoir a mené une campagne massive en faveur du «oui», laissant très peu de place aux voix discordantes. Le Caire (Egypte). De notre correspondante
En proie à une instabilité chronique depuis bientôt trois ans, l'Egypte n'aurait plus le «luxe» de choisir entre plusieurs voies. Si l'on en croit un récent article publié dans le quotidien Youm al Sabi, «les Egyptiens n'ont pas d'autre choix que de voter en faveur de la Constitution», surtout dans un pays où la liste des besoins ne cesse de s'allonger. Charles, physiothérapeute dans un hôpital militaire du Caire, en est convaincu : «Beaucoup voteront ‘‘oui'' au référendum, car il n'y a pas d'autre alternative, sinon celle de retomber dans une dictature islamiste.» Dans les médias majoritairement acquis à la cause du coup d'Etat militaire qui a mis fin à la présidence de l'islamiste Mohamed Morsi le 3 juillet 2013, le message est clair : les citoyens doivent massivement approuver la nouvelle Constitution. En jeu, leur degré de soutien à la politique menée par l'armée contre les Frères musulmans dont Mohamed Morsi est issu. A la veille du référendum, prévu les 14 et 15 janvier, seule la campagne pour le «oui» a eu droit de cité. Le même message est martelé partout et à n'importe quelle heure de la journée : «Votez oui pour la Constitution». Au nom de l'amour pour l'Egypte, et du désamour de la confrérie islamiste dorénavant classée «organisation terroriste» par l'Etat égyptien. A l'occasion d'un séminaire organisé par le département des Affaires morales des forces armées, samedi dernier, le ministre de la Défense, Abdelfatah Al Sissi, a ainsi demandé aux Egyptiens de ne pas le décevoir. Il s'est également adressé aux femmes dont il souhaite la participation massive au référendum, et ce, accompagnées de tous les membres de leur famille. Il précise : «Comme elles l'avaient fait le 30 juin 2013» lors des manifestations monstres contre le président Morsi. Voix discordantes Depuis cette date, une nouvelle plaie semble avoir gagné l'Egypte : l'unanimisme. Au nom de la stabilité et de la lutte antiterroriste, le pouvoir s'acharne à étouffer toutes les voix discordantes, comme celles des Frères musulmans ou des activistes libéraux. «Quand j'ai confié à des amis que je soutenais la confrérie, ceux-ci ont pris leur distance, déplore Ahmed, employé dans une agence de tourisme. A leurs yeux, je devenais une menace, une personne qui travaille contre les intérêts du pays.» Cible d'une répression implacable depuis l'été 2013 et exclus de la vie politique égyptienne, les Frères musulmans ont appelé au boycott du référendum. Mais l'Alliance anti-coup, principal groupe de soutien à l'ancien président Mohamed Morsi, compte toutefois peser sur le scrutin en faisant descendre, comme elle le fait depuis juillet 2013, ses partisans dans la rue. A l'aube de cette nouvelle étape décisive pour l'armée, beaucoup craignent une recrudescence des violences aux abords des bureaux de vote. «Combat de la Constitution», «Marches du sang», «L'armée se met en ordre de bataille» : la lutte engagée entre les Frères musulmans et l'armée s'est donnée les attributs d'une vraie guerre, avec ses maux, ses morts et sa surenchère permanente. «Sommes-nous prêts à sacrifier notre démocratie pour gagner une guerre contre le terrorisme ? s'interroge Khaled Fahmy, professeur à l'université américaine du Caire. Et cette victoire aura-t-elle un sens si nous découvrons que nous avons perdu notre liberté en cours de route ?» La semaine dernière, des combats de rue meurtriers entre pro-Morsi et forces de sécurité ont éclaté dans plusieurs localités, dont la ville portuaire de Suez et à Ismaïlia, la cité berceau des Frères musulmans. Le Mouvement de la jeunesse du 6 avril, clef de voûte de la mobilisation en 2011, a lui aussi appelé à ne pas participer au scrutin. Fin décembre, son fondateur Ahmed Maher et deux membres de l'organisation ont été condamnés à trois ans de prison pour avoir enfreint la nouvelle loi réglementant le droit de manifester en Egypte. Un texte que de nombreuses organisations jugent contraire aux principes de la révolution, et à l'image de la dérive autoritaire de l'actuel pouvoir piloté par l'armée. Ces partisans du «ni dictature islamiste ni dictature militaire» brouillent les lignes tracées par la nouvelle coalition. Les activistes politiques ne sont pas les seuls à faire les frais de cette politique. Ces derniers mois, des dizaines de journalistes ont également été victimes d'intimidations et d'arrestations. L'Observatoire des journalistes contre la torture a dénombré 67 cas de violation, durant le seul mois de décembre. Trois journalistes de la chaîne qatarie Al Jazeera, soupçonnés d'appartenir aux Frères musulmans, ont été arrêtés le 29 décembre et demeurent toujours retenus par les autorités égyptiennes. Légitimer a posteriori Ce référendum s'inscrit dans un contexte de répression, mais cela va-t-il pour autant amoindrir sa portée politique ? L'actuelle coalition peut-elle légitimer a posteriori la destitution d'un président élu et la traque menée depuis contre sa confrérie? Tel semble être le pari des nouvelles autorités. Elles misent donc sur une participation massive de la population égyptienne, accréditant l'idée que le coup d'Etat émanait bien de la volonté du peuple. Pour parfaire ce processus de légitimation, il faudrait que le taux de participation et de vote en faveur de la Constitution dépasse ceux enregistrés en 2012 lors du référendum pour la Constitution rédigée sous l'ère islamiste. Et après ? Les récentes décisions prises par le pouvoir militaire contre les dernières manifestations organisées par les Frères musulmans n'augurent rien de rassurant. Comme le souligne Michele Dunne, associée au programme Moyen-Orient de la fondation Carnegie pour la paix internationale, l'avenir politique de l'Egypte reste lourd d'incertitudes : les Egyptiens s'apprêtent à voter pour une Constitution sans savoir quel système électoral sera utilisé pour le vote du Parlement, et si le pays maintiendra un régime où le Président détient de nombreux pouvoirs, comme celui de nommer les gouverneurs des provinces. Mais avant même la publication des résultats de ce référendum et l'annonce d'un calendrier électoral, c'est bien l'élection présidentielle qui retient toute l'attention. Selon plusieurs journaux, les Egyptiens attendraient un homme fort, capable de sauver le pays de la faillite. Moins d'une semaine avant le référendum, et après des mois de suspense minutieusement travaillé, le général Abdelfattah Al Sissi avait déclaré qu'il se présenterait si le peuple lui confiait cette mission. Un mandat populaire dont le référendum d'aujourd'hui sera le premier thermomètre.