Après de longs mois de suspense et de tergiversations, du fait du nombre important d'universités et grandes écoles de pays qui étaient en compétition, c'est finalement l'Algérie qui sera retenue en tant que représentant de l'Afrique du Nord à la future Université panafricaine. Il s'agit d'un projet ambitieux que s'apprête à lancer l'Union africaine (UA) dans le but de renforcer la compétitivité et la croissance économique en Afrique, et ce, grâce à la création d'un pool de compétences au niveau de l'enseignement supérieur, de la recherche et l'innovation. Ainsi, des domaines-clés en rapport avec le développement seront couverts par le futur établissement élitiste à travers des centres et des instituts régionaux hébergés par des universités de certains pays du continent. Trois des cinq instituts thématiques chefs de file déjà existants et appelés à desservir tous les pays africains sont abrités au Kenya pour les sciences, l'ingénierie et la technologie, au Cameroun pour la gouvernance, les sciences humaines et les sciences sociales, et au Nigeria pour les sciences de la vie et de la terre, expliquent des enseignants-chercheurs de la Faculté des sciences économiques et des sciences de gestion, université Badji Mokhtar de Annaba. Déjà présente au Forum euro-méditerranéen des instituts des sciences économiques (FEMISE), cette dernière est d'ailleurs fortement pressentie pour héberger l'un des deux instituts thématiques en attente d'être spécifiés par les initiateurs du mega projet scientifique panafricain, assurent ces universitaires dont les travaux de recherche se rapportent essentiellement aux stratégies de communication innovantes et à leur impact sur le développement social et humain dans les pays arabes. Appelé à être doté d'un portefeuille actif de quelque 70 projets innovants pour un coût global s'élevant à environ deux milliards de dollars, le projet panafricain est susceptible d'insuffler une nouvelle dynamique au secteur de la recherche, du développement et de l'innovation, là où les pays africains demeurent à la traîne de par le peu d'intérêt qu'ils y accordent. En effet, le continent s'est toujours «distingué» par le ratio le plus faible de chercheurs et d'ingénieurs. Cette tendance, les initiateurs du projet panafricain et les bailleurs de fonds entendent l'inverser, misant sur l'éclosion de compétences. Celles-ci pourraient servir de socle à l'édification d'un pôle d'excellence et d'attraction pour les étudiants, scientifiques et chercheurs africains, ceux maghrébins notamment, pour qui les grandes universités occidentales restent jusqu'à l'heure la seule référence, l'unique destination. Et pour cause : que ce soit en Algérie, au Maroc ou encore en Tunisie, les mécanismes mis en place en faveur du développement de la culture, de l'innovation et de l'entrepreneuriat ont montré toutes leurs limites. A cela, plusieurs facteurs. Le plus pesant et persistant consiste en l'absence d'une culture de partage des savoir-faire entre les acteurs locaux de l'innovation ainsi que d'une gouvernance appropriée, s'accordent à dire nombre d'universitaires interrogés. Ils estiment que « toute politique nationale d'innovation doit passer avant tout par un décloisonnement et un dialogue permanent entre les différents acteurs». L'absence d'une offre de formation dans le domaine du management de l'innovation est un autre facteur handicapant : «Les managers des entreprises sont très peu sensibilisés et formés aux enjeux, conditions de développement et de mise en œuvre de processus d'innovation», explique à ce sujet le Pr Fouad Bouguetta, doyen de la faculté des sciences humaines et sociales (université de Annaba). De même, ajoutera-t-il, la recherche scientifique, partout au Maghreb, reste concentrée sur des recherches fondamentales : «Si on constate que le nombre de publications a augmenté au cours des dix dernières années, le nombre de brevets demeure, quant à lui, très faible. La relation avec les entreprises est toujours vue davantage à travers le prisme de la formation au détriment d'une collaboration sur des problématique d'innovation». Plusieurs autres universitaires abonderont dans le même sens, mais mettront particulièrement l'accent sur le cas de l'Algérie, où «la recherche scientifique, le développement et l'innovation sont trois concepts qui reflètent à bien des égards l'état de la société algérienne. En l'absence de projet de société, aucune perspective de développement socio-économique n'est clairement affichée», déplorent-ils. Et de souligner qu'«au lieu de se projeter sur des projets porteurs pouvant avoir des retombées positives sur le développement de l'économie nationale ou sur le changement de la société, tel que conçue, la politique nationale de Recherche-Développement-Innovation s'inscrit beaucoup plus dans une logique de maintien de la stabilité sociale». Pis, renchérissent-ils, «les centres, les laboratoires et les unités de recherche en Algérie ont été réduits à une présence symbolique. Les universités algériennes ont produit une ‘‘élite'' qui ne produit en réalité que des sous-produits, c'est-à-dire une élite improductive. La recherche en Algérie s'inscrit beaucoup plus dans le champ académique que dans le champ empirique».