A quel prix peut-on réussir ? L'achat d'un faux diplôme est parfois la fin qui justifie les moyens. Certains faussaires ont réussi à occuper des postes convoités jusqu'à ce que de grands scandales éclatent. Pour les trafiquants, le début des années 2000 fut l'âge d'or d'un commerce qui rapporte. El Watan Week-end a rencontré l'un d'entre eux. La fabrication d'un faux diplôme serait un «phénomène récent» en Algérie, selon la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN). Idriss,* la trentaine, un ancien trafiquant de faux diplômes reconverti aujourd'hui dans l'installation électronique, a conçu ses premières copies au début des années 2000. «J'étais fauché et je venais de trouver un emploi dans un cybercafé. J'ai appris l'informatique sur le tas, j'ai copié un premier diplôme et c'est à ce moment-là que les affaires ont commencé.» Et Idriss n'a pas attendu longtemps avant que les affaires fleurissent : «J'avais beaucoup de demandes, mais je faisais une sélection en amont par mesure de sécurité. Seules les connaissances les plus proches et celles en qui j'avais un minimum de confiance avaient le droit au précieux sésame.» C'est le cas de Malek*, la trentaine, ancien candidat au faux diplôme et ami proche d'Idriss : «J'avais besoin d'un diplôme en audiovisuel pour devenir cameraman indépendant. Cependant, pour travailler dans le milieu, il ne suffit pas d'avoir du talent, les impôts ne délivrent pas de registre du commerce si tu ne leur présentes pas un diplôme adéquat, et comme je n'avais pas les moyens de financer deux années d'études, le faux diplôme s'est donc présenté comme la solution idéale.» Valeur Malek n'a pas déboursé un centime pour l'obtention de son faux certificat de réussite mais pour les autres, le prix des prestations d'Idriss pouvait aller de 3000 à 10 000 DA, en fonction du niveau scolaire et de la nature de la relation avec le client. «Je pouvais copier de faux certificats de scolarité de la 9e à la terminale pour 3000 DA, une attestation de réussite pour une formation de six mois pouvait coûter de 4000 à 5000 DA. Si nos diplômes avaient eu une valeur conséquente à l'étranger, mes prix allaient être certainement plus élevés», affirme-t-il. Dans un article sur la recrudescence des faux diplômés algériens dans les universités étrangères, publié en juin 2009 par El Watan, le journal faisait état de l'arrestation d'un faussaire âgé de 36 ans à Mostaganem, qui fabriquait des diplômes de génie civil contre une somme allant de 60 000 à 100 000 DA. Si les prix atteignent parfois des sommes exorbitantes, il est en revanche «pas très coûteux de falsifier un diplôme. Avec les nouvelles techniques et le matériel technologique, on le fait plus facilement», selon la DGSN. Idriss disposait déjà du matériel nécessaire dans le cybercafé : «Il suffisait de scanner la copie d'origine déjà légalisée, de changer les noms par le biais d'un logiciel de retouches puis d'imprimer le nouveau document avec le tampon visible qui est un élément d'authentification important pour les éventuels contrôles. Si le tampon n'était pas visible, on recouvrait le diplôme d'une feuille plastifiée pour que la vérification du tampon soit encore plus difficile.» Contrôles Selon Idriss, les techniques de falsification et les outils sont toujours les mêmes. Si les techniques restent inchangées, les contrôles ont depuis quelques années été renforcés. «On peut difficilement savoir si un document est falsifié ou pas. Les recruteurs sollicitent alors les académies pour vérifier l'authenticité des documents fournis», atteste le directeur de l'Académie d'Alger qui affirme parfois trouver des incohérences. «Dans l'éventail des erreurs possibles, soit la mention du diplôme obtenu n'est pas précisée dans le dossier, soit c'est le nom de l'établissement qui n'est pas correct. Derrière l'absence de données justificatives ou l'incohérence, il se peut qu'à l'origine, il y ait un faux diplôme. On a eu une fois le cas d'un jeune homme qui a fait un bond scolaire fulgurant entre la sixième et sa première année de faculté après avoir justifié une période de scolarité fantôme entre la sixième et la terminale», se souvient le directeur. Plusieurs barricades administratives ont été imposées par les universités lors des inscriptions et des transferts. Ainsi, les universités sollicitent les universités d'origine afin de procéder aux mêmes vérifications. Certains recruteurs vont même jusqu'à dépêcher un employé administratif dans les écoles afin de vérifier si la nouvelle recrue a fréquenté l'établissement. Bakchichs Idriss confirme l'efficacité de cette pratique : «Il y a un peu plus de deux ans, il y avait peu de contrôles car le réseau internet était limité en Algérie. Aujourd'hui, les méthodes de vérifications informatiques se sont développées et les procédures de contrôle des dossiers scolaires sont plus solides, ce qui rend difficile, voire inutile la copie d'un diplôme.» C'est donc au niveau des responsables administratifs de la saisie des notes, travaillant au sein des universités, que l'opportunité d'un trafic parallèle de fausses bonnes notes a vu le jour, permettant à l'étudiant d'obtenir finalement son diplôme légalement. «Cette pratique existe déjà. Certains étudiants ont des relations privilégiées dans le corps administratif de l'université et n'hésitent pas à trafiquer leurs résultats», affirme une étudiante à Alger. «Quand certaines ont recours à la prostitution et d'autres filent des bakchichs, eux se contentent d'ouvrir leur carnet d'adresses», ajoute une étudiante de l'université d'Oran. Dans le monde du faux, il arrive que certains se désistent et que d'autres se retrouvent à la barre : «Ma voisine trafiquait de faux timbres-poste. Elle s'est fait épingler par les autorités et a fini en prison. Après avoir travaillé deux ans au cybercafé, j'ai arrêté à mon tour et la plupart des trafiquants que je connais n'ont pas fait long feu non plus», affirme Idriss. Réseau Dans le courant des années 2012-2013, trois grandes affaires de faux diplômes ont touché de hautes institutions publiques impliquant de hauts fonctionnaires d'Etat. Peut-on affirmer dans ce sens que l'opportunité d'un réseau de trafic de faux diplômes en Algérie se soit créée ? La cellule de communication du commandement général de la Gendarmerie nationale à Alger infirme l'existence d'un réseau spécialisé, les faussaires interceptés seraient dans leur grande majorité des cas isolés. La DGSN dispose d'un document vierge pour identifier les fausses copies. Les véritables diplômes sont conçus avec le même papier fiduciaire utilisé pour concevoir les planches à billets. La police scientifique de l'Institut de criminologie de Bouchaoui rattaché au commandement général de la Gendarmerie nationale dispose d'un département spécialisé dans les fraudes fiduciaires. Difficile de savoir comment sont menées les enquêtes en interne, l'institut a refusé la demande d'une journée d'observation formulée par El Watan Week-end. *Les prénoms ont été changés.