Inclassable de par sa richesse, sa diversité et sa profondeur, l'œuvre de Kateb continue d'inspirer une profusion d'études à l'échelle planétaire. Le président du comité scientifique de cette 5ème édition du colloque international sur la vie et l'œuvre de Kateb Yacine, qui se déroule du 15 au 18 du mois en cours, au théâtre régional Mahmoud Triki, de Guelma, l'écrivain tunisien Mansour M'henni, présentait, mercredi dernier, lors de l'ouverture de l'évènement, Kateb Yacine comme étant «le fondateur et le phare de la littérature maghrébine». Devenu assidu à cette rencontre cyclique, initiée par l'association Promotion tourisme et action culturelle de Guelma, sur ce géant de la littérature d'expression francophone, dont les textes fascinent de plus en plus, -n'ayant jamais livré leur sens intégral, et ne le feront probablement jamais- Mansour M'henni affirme que le colloque revêt une valeur scientifique importante, doublée d'un programme culturel et touristique, et d'une plateforme d'échanges humains». «Kateb Yacine peut engager toute forme de réflexion au vu de la densité de son projet, en dépassant la situation autour des langues ; il y a toujours quelque chose de nouveau à étudier chez lui», a-t-il souligné. Ce premier jour a été une mise en évidence de l'aspect pluriel de l'œuvre katébienne, de sa vie, dans le sillage de témoignages édifiants de ses amis, compagnons de fortune, ou infortune. L'écrivain Benamar Mediène a évoqué les derniers jours de Kateb, en France, à l'hôpital, et en aparté, sa rencontre avec Nedjma, alias Zoulikha Kateb, qui «avait touché le cercueil de Yacine, et porté sa main à ses lèvres», le sens de l'humour de Kateb, les mots subversifs, sa révolte, qu'il ne pouvait retenir, son parler algérien, expressif et haut en couleur, son engagement absolu à partir de mai 1945, jusqu'à sa mort, son amour de la culture universelle, de la poésie… «Après sa mort, j'ai vu le recueil de poésie de Holderlin sur sa table de chevet ; c'est ce partage avec le monde entier qui fait de lui l'orgueil de notre pays», dit-il encore en public. De sa part, l'écrivain algérien Habib Tengour, confie à l'assistance, nombreuse, qu'il a connu Kateb par le biais de Jacqueline Arnaux, «cette chercheuse amoureuse» (de Kateb) qui a consacré sa vie à collecter les textes épars du Keblouti, et qui est morte dans ses bras. «L'œuvre de Kateb est inclassable, toujours en progrès, à cause même de ses imperfections ; l'évidence de son écrit qui me frappe à chaque lecture ; même quand il parlait, il avait le mot juste, c'est la grâce du poète», a-t-il ajouté, ému. D'aucuns d'ailleurs ont relevé des «similitudes» de Tengour avec Kateb, notamment dans «Le vieux de la montagne». « Des cadavres encerclants » L'œuvre de Kateb Yacine continue, plus que jamais, d'inspirer une profusion d'interprétations, et de faire l'objet d'études très approfondies et diverses, de la part de chercheurs à l'échelle planétaire. Dima Hamdane, venue du pays du Cèdre, chef du département de littérature française de l'université libanaise, à Beyrouth, a été initiée, -au lycée déjà-, à la littérature maghrébine de langue française, et plus particulièrement aux textes katébiens, par un de ses professeurs. Elle a décliné sa communication le premier jour (mercredi) du colloque avec une approche globale, originale, de l'œuvre de Kateb, qu'elle a compilée sous le titre «La beauté dans les kitabats de Kateb Yacine». Insistant sur le mot arabe «kitabats», (ou écritures), elle précise qu'il est, à son sens, plus approprié à la profondeur et à la densité du verbe katébien. Et d'expliquer son choix : «J'ai essayé de prendre de la distance et d'oublier tout ce que j'ai étudié sur Kateb Yacine ; j'ai voulu avoir un regard neuf, comme au matin du monde, et c'est ainsi que le titre m'est venu, comme une révélation. Comment extraire la beauté de la souffrance ? L'œuvre de Kateb est marquée par la tristesse et le sang, mais elle est aussi celle d'un homme charismatique ; il a été témoin de sa mort et, en même temps, il est resté debout, préservant sa dignité ; l'héroïsme katébien est là, et c'est beau parce qu'il nous renvoie à notre propre dignité. J'ai vu beaucoup de similitudes entre ce qu'ont enduré nos deux peuples, leur capacité à dépasser le deuil, leur courage…j'ai abordé Kateb à partir de la pensée chinoise (Lao-Tseu) qui a pour principe l'alternance entre les contraires; pour s'élever, il faut réaliser le vide en soi, le renoncement à ce qui peut causer notre chute et notre dégradation… dans l'œuvre en fragments les personnages katébiens sont issus du réel, ils pèchent mais en même temps ces personnages qu'il appelle les ouvriers modestes, les combattants, les martyrs, ont introduit un jeûne moral, une façon de combattre le colon, donc ils sont devenus des cadavres ‘encerclants'. » Du théâtre également Dans l'après-midi, c'est la troupe du théâtre régional de Bel Abbes qui s'est produite, avec brio, en arabe classique, -parfaitement en osmose avec l'austérité tragique du texte-, avec la pièce de Kateb Yacine, «Les ancêtres redoublent de férocité». La pièce a été traduite par Youcef Mila et mise en scène par Mohamed Frimahdi. Le directeur du théâtre régional de Bel Abbes, Hassan Assous, était également présent à ce colloque, surtout en tant qu'ancien compagnon de Kateb Yacine, dont il a évoqué une de ses manies d'écrivain, atypique, inclassable : «Ses feuilles remplies d'une écriture qui n'était lisible que pour lui (Kateb), il les étendait avec des pinces côte à côte sur une corde, comme du linge, puis essayait de les classer.» Nous livrons, par la même occasion, au lecteur, le contenu non exhaustif de la deuxième journée (jeudi) : les communications suivantes : «Le cadavre encerclé : la catastrophe et le temps à venir», de Frédérique Aufort, docteur en littérature et civilisation française, à l'université Paris Sorbonne, «De l'homme aux sandales de caoutchouc au Bourgeois-sans-culotte : la recherche d'une parole et d'une langue hors pouvoir», de Elise Zeniter, de l'école doctorale de littérature française et comparée, de Paris 3, et «Kateb Yacine et le référentiel des Lumières», de Nizar Ben Saâd, maître-assistant habilité, de l'université de Sousse (Tunisie). Rappelons que le colloque est patronné par la ministre de la Culture, -que tous interpellent encore pour «institutionnaliser» la manifestation-, et des autorités de Guelma, en plus de la collaboration du théâtre de Guelma et celui de Bel Abbès.