Au moment où s'ouvrait hier à Montreux, en Suisse, la conférence internationale sur la Syrie dite Genève 2, un avion de ligne transportant des journalistes se posait sur le tarmac de l'aéroport d'Alep. Fermé depuis janvier 2013 après plusieurs attaques des rebelles, la réouverture de cette aérogare signifie que l'armée du régime a repris possession des lieux dans la capitale économique de la Syrie. Le timing n'est évidemment pas innocent. Le président Al Assad envoie là un message fort aux participants à la conférence de Genève, leur signifiant que la bataille est en train d'être gagnée sur le terrain. La reconquête de l'aéroport d'Alep et la sécurisation de ses abords pourrait donner à réfléchir à ceux qui prêtent main-forte aux rebelles. Déjà que certains pays, à l'image de la Turquie, semblent de moins en moins sûrs de pouvoir compter sur une opposition syrienne où il est difficile de distinguer les djihadistes et les mercenaires étrangers des politiques qui voudraient réellement négocier une sortie de crise, quitte à le faire avec le régime. Dialogue et monologue de sourds Mal partie à cause du malentendu originel sur l'interprétation du communiqué final de Genève 1 qui évoquait sans trop de précisions une «transition politique», Genève 2 devait forcément donner lieu à de chaudes passes d'armes. Et les échos en provenance de Montreux ont bien confirmé cette atmosphère électrique entre les représentants d'Al Assad qui ne voulaient point entendre parler du départ de leur «raïs» et les délégués de l'opposition en exil qui en faisaient une condition sine qua none. Pas facile de réconcilier l'irréconciliable. D'autant que les approches duales sont sponsorisées par les deux parrains de la conférence : les Etats-Unis d'un côté et la Russie de l'autre. De fait, c'est un dialogue de sourds, voire une guerre des mots que l'on a pu observer hier, au premier jour de cette prise de contact marquée surtout par des passes d'armes plus ou moins orageuses. Il n'a pas fallu longtemps aux représentants de la quarantaine de pays participants pour constater le fossé abyssal qui sépare les positions des deux protagonistes, censés s'écouter et pourquoi pas s'entendre sur un smig vital pour leur pays. «Tous les Syriens ont le regard tourné vers vous aujourd'hui», a lancé Ban Ki-moon aux deux belligérants qui se regardaient en chiens de faïence dans la salle de réunion. Même venus tenter de faire la paix, les deux délégations n'ont pas oublié de se faire la guerre autour de la table. Le MAE syrien, Walid Mouallem, qui a abusé de son temps de parole (20 minutes au lieu de 10) s'est payé un accrochage avec le secrétaire général de l'ONU qui lui a demandé de conclure. «Vous vivez à New York et moi je vis en Syrie, j'ai le droit de donner la version syrienne ici, devant ce forum», a lancé M. Mouallem au chef des Nations unies. Contrarié, Ban Ki-moon lui a répliqué que son intervention était «contraire à l'atmosphère constructive». Le délégué d'Al Assad a enfoncé le clou en lançant des noms d'oiseaux aux représentants de l'opposition assis en face de lui, les qualifiant de «traîtres» et d'«agents à la solde des ennemis» de la Syrie. Réplique sèche du secrétaire d'Etat américain John Kerry : «Bachar Al Assad ne prendra pas part au gouvernement de transition. Il est impossible, inimaginable que cet homme qui a mené une telle violence contre son propre peuple puisse conserver la légitimité pour gouverner !» Al Assad ne partira pas ! Son homologue syrien Walid Mouallem reprend au vol : «Monsieur Kerry, personne au monde n'a le droit de conférer ou de retirer la légitimité à un Président (...) sauf les Syriens eux-mêmes.» Sergueï Lavrov, qui n'en pense pas moins, avertit alors que les négociations ne seraient «ni simples ni rapides». En face, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui fait partie des soutiens des rebelles syriens, apporte de l'eau au moulin de John Kerry et fait la «leçon» à Mouallem : «Il s'agit (...) non pas de prononcer des discours en répétant le mot ‘‘terrorisme''. Il s'agit de rechercher un accord politique pour la Syrie concernant cette autorité de transition dotée des pleins pouvoirs exécutifs.» Pas facile en effet d'entendre qualifier ceux que l'on soutient de «terroristes». La porte-parole du département d'Etat, Jen Psaki, a même publié un communiqué pour dénoncer la «rhétorique incendiaire» des représentants d'Al Assad. Il est vrai que ce n'est pas la meilleure manière de se mettre à table pour négocier la paix. Mais cela prouve aussi qu'il s'agit d'un dialogue de sourds orchestré sous forme de conférence pour la paix qui prend l'allure d'une simple coquetterie diplomatique. Pour preuve, le ministre syrien de l'Information d'Al Assad, Omrane Al Zohbi, a fait hier irruption dans la salle de presse où travaillent des centaines de journalistes pour lancer ce qui semble une position scellée et non négociable du régime de Damas : «Al Assad ne partira pas !» Un coup de tonnerre dans un ciel helvétique censé être serein. Qui pouvait alors entendre l'appel du chef de la délégation de l'opposition, Ahmad Jabra, au président Bachar Al Assad à remettre son pouvoir à un gouvernement de transition ? Certainement pas Walid Mouallem et encore moins Al Assad lui-même.