Le gouvernent a adopté, le 30 décembre 2013, un projet de loi sur la protection des ressources biologiques. Un texte censé mettre de l'ordre dans la gestion du patrimoine génétique national qui, semble-t-il, reste important malgré la forte érosion qu'il a subie, notamment dans les variétés de plantes cultivées. Mais d'abord, qu'appelle-t-on ressources biologiques ? Au sens de la Convention sur la diversité biologique, c'est «l'ensemble des ressources génétiques, les organismes ou éléments de ceux-ci, les populations ou tout autre élément biotique des écosystèmes ayant une utilisation ou une valeur effective pour l'humanité». En clair, la ressource biologique désigne les composantes de la biodiversité qui ont une utilisation directe, indirecte ou potentielle pour l'humanité. Enjeux L'utilisation telle qu'évoquée dans la Convention suppose l'existence d'enjeux économiques et c'est effectivement ce que sont devenues les ressources biologiques depuis le Sommet de la terre en 1992. Le développement de la biotechnologie a permis de manipuler le patrimoine génétique. Ceci au profit des grandes firmes de l'agroalimentaire, des semences et de la pharmacie comme Monsanto (voir encadré). L'application du génie génétique est devenue opérationnelle dans les années 1980 avec les premiers essais en champ de tabac résistant à un antibiotique. Les premiers aliments issus d'OGM (voir encadré) sont commercialisés en 1994, comme la tomate à mûrissement ralenti, mais aussi des produits pharmaceutiques comme l'hormone de croissance BST pour forcer la lactation des vaches. Commencée aux Etats-Unis, c'est à partir de 1997 que la culture de variétés transgéniques a commencé à s'étendre dans le monde. Les surfaces cultivées en OGM couvrent 52,6 millions d'hectares en 2001, elles passent à près de 100 millions d'hectares à fin 2004 ; 125 millions d'hectares en 2008 et 170 millions d'hectares en 2012. En 2001, trois pays représentaient 96% des OGM cultivés dans le monde : Etats-Unis (68%), Argentine (22%) et Canada (6%). Aujourd'hui, le nombre de pays qui adoptent progressivement les cultures transgéniques augmente, notamment en Inde et en Afrique australe, alors qu'en Europe, les mouvements écologiques freinent leur progression. Vulnérabilité Dans le domaine agricole, l'amélioration des espèces cultivées pour obtenir de meilleurs rendements, une meilleure adaptation aux conditions climatiques, des résistances aux agents infectieux ou aux prédateurs, a été un souci constant dans l'histoire de l'humanité. La sélection de variétés est le fait des agriculteurs eux-mêmes dans le cadre d'une agriculture traditionnelle comme cela a été le cas pendant des siècles en en Afrique du Nord et dans tout le bassin méditerranéen, devenu un réservoir de variétés cultivées et d'espèces endémiques. Les espoirs et les rêves sont à la mesure des enjeux : combattre la faim dans le monde en produisant plus et mieux et protéger l'environnement en réduisant l'utilisation des pesticides et en économisant l'eau ! Mais ces objectifs sont-ils réellement réalisables ? Quelles transformations pour le système de production agricole et dans les relations Nord-Sud doit-on en attendre ? Au bénéfice de qui ? Il semble que les autorités algériennes aient pris conscience de l'extrême vulnérabilité de notre pays face à ces enjeux où les multinationales, soutenues par de puissants lobbies, ont obtenu dans leur pays la promulgation de lois qui les rend seuls et uniques propriétaires de ressources biologiques pillées dans les pays pauvres ou en voie de développement. Des variétés, aux mains de ces multinationales, dont dépendent des millions d'êtres humains, ont été «volées» à partir de quelques graines passées normalement aux frontières. C'est de la biopiraterie contre laquelle la communauté internationale s'est organisée dans le cadre du protocole de Nagoya (Japon) adopté en octobre 2010. En fait, l'Algérie, en prenant des lois dans le cadre de ce protocole, répond aussi à une interpellation intérieure de la part de scientifiques qui n'ont de cesse de dénoncer des pratiques dans des laboratoires qui n'honorent pas leurs auteurs. Des variétés ont été échangées contre des stages à l'étranger. Zéro protection En Algérie, le point sur les ressources génétiques a récemment été fait par des études du ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement (MATE). Un rapport synthétique de 2011 note que des résultats de la recherche scientifique, acquis depuis l'an 2000, ont été fructueux. On a découvert de nouvelles espèces et la biodiversité algérienne globale (naturelle et agricole) avoisine aujourd'hui les 16 000 espèces, mais seulement 1% est utilisé par l'économie nationale. Environ 1000 espèces présentent des vertus médicinales (60 autres espèces seraient encore inconnues). 1670 espèces, soit 53,20% de la richesse totale algérienne, plus de la moitié, sont relativement peu abondantes et classées comme assez rares (AR) pour 314 espèces d'entre elles, rares (R) pour 590 espèces, très rares (RR) pour 730 espèces et 35 espèces rarissimes (RRR). Il y a 850 espèces de lichens, dont 150 menacées et autant de champignons. On a compté 713 espèces pour le phytoplancton, et les algues marines. La faune totalise à ce jour 4963 espèces, dont un millier de vertébrés, c'est-à-dire les poissons (300), les reptiles (70), les oiseaux (378) et les mammifères (109). L'Algérie compte près de 150 taxons de microorganismes. C'est le segment où les travaux scientifiques ont le moins progressé et c'est précisément celui qui est le plus concerné par les nouvelles biotechnologies. On cite cependant la découverte de nouvelles souches d'archaebactéries (microorganismes à cellule unique sans noyau) et de cyanobactéries (algues bleues primaires). Saignée dans l'agriculture Toutefois, souligne le rapport, les pressions croissantes et intenses subies par les écosystèmes jusque-là où ils sont théoriquement protégés comme dans les parcs nationaux se traduisent par une vulnérabilité croissante du patrimoine national en ressources biologiques. Ces pressions sont telles qu'un nombre important de taxons sont aujourd'hui répertoriés sur les listes internationales. Celle de l'Union internationale de la conservation de la nature (UICN) intègre 610 taxons, dont 75 menacés. Les plus affectés sont les mammifères, les poissons et les oiseaux. Celle de Convention sur le commerce des espèces (CITES) renferme 121 taxons. Enfin, la liste de la Convention sur les espèces migratrices (CMS) concerne 66 taxons, dont 12 mammifères et 47 oiseaux. Pour les experts algériens, la véritable saignée en ressources biologiques s'est effectuée dans le monde de l'agriculture. Si on a enregistré de nouvelles variétés oubliées ou ignorées de plantes et d'animaux domestiques, comme Tazagzawt, la vache bleue de Kabylie, on doit déplorer l'extinction de la vache chorfa et de l'African aurochs chez les bovins. Le phénomène est identique pour les ovins, les poules et les dindes, les abeilles, les lapins, notamment en Kabylie avec l'importation de souches et de variétés multiples. Pour les experts en agronomie, des dizaines de cultivars et de souches ont complètement disparu pour les céréales et la viticulture. La tendance à la dégradation des ressources génétiques est forte. Elle a pour cause «les difficultés rencontrées par certaines institutions étatiques ou privées, particulièrement celles chargées de constituer et de conserver le matériel végétal, la perte de savoir-faire liée à un départ en retraite d'une ressource humaine qualifiée aggravée par un manque de remplacement de celle-ci dans des domaines spécifiques, tels que la reconnaissance des espèces et leur maintien en collection».