Au lendemain des quatre attentats qui ont secoué la capitale, les Egyptiens étaient appelés à se rassembler massivement pour célébrer le troisième anniversaire de la révolution. En ordre dispersé. Le Caire (Egypte) De notre correspondante Le Caire se prépare à fêter l'an III de la révolution. A reculons. La veille déjà, les rues et les cafés étaient quasiment déserts, conséquence du quadruple attentat qui a secoué la ville dans la matinée. Pourtant, cette révolution du 25 janvier, tous s'y réfèrent depuis trois ans : un héritage dont personne ne peut se passer, ni l'armée, ni les Frères musulmans, ni les révolutionnaires. C'est pourquoi ces derniers ont tous appelé à manifester en souvenir du «jour de la colère» ce 25 janvier 2011. Il est à peine 11h. Alors que la ville s'éveille péniblement, la place Tahrir, elle, s'anime. A l'entrée, face au cordon de sécurité, se dressent les stands de posters et de gadgets à l'effigie du général Abdelfatah Al Sissi. «Je veux qu'il devienne le prochain Président», affirme Lamia Mohamed, devant son étal où le portrait du général Al Sissi côtoie ceux des anciens présidents Gamel Abdel Nasser et Anouar El Sadate. Sur la place, une centaine d'Egyptiens ont commencé les festivités avant l'heure. Leurs refrains à la gloire de l'armée et de la police couvrent à peine les vrombissements des avions militaires qui balaient le ciel depuis l'aube. A chacun de leur passage, la foule marque une pause avant d'agiter ses oriflammes avec frénésie. D'autres préfèrent se dénicher un coin de pelouse pour être aux premières loges quand la fête commencera. Un anniversaire, une place, un homme Assis sur un muret qui borde l'esplanade, Samir Fadel a voulu rejoindre les lieux le plus tôt possible. Avant que les contrôles de sécurité ne se durcissent. Contrairement à la majorité des gens qui l'entourent, cet étudiant à l'université d'Al Azhar ne soutient pas le gouvernement de transition mis en place au lendemain de la destitution de Mohamed Morsi, le 3 juillet dernier : «Je ne suis pas comme eux, ils ne comprennent rien à ce qu'il se passe. Je suis descendu pour continuer la révolution après la prière, car trois ans après, rien n'a changé.» Mais très vite, les personnes qui l'entourent comprennent qu'il n'est peut-être pas des leurs. Un homme au regard vitreux l'interpelle : «Tu ne vas pas me dire que la Libye est dans une meilleure situation aujourd'hui qu'avant la révolution ! Et la Syrie ? Alors, qu'est-ce que tu en dis ?» La tension monte. Deux hommes munis d'une oreillette ont rejoint le groupe de personnes agglomérées autour de Samir. Il préfère s'éclipser. D'autres Egyptiens sont descendus ce 25 janvier, non pas pour célébrer l'anniversaire d'une révolution, mais pour rappeler la nécessité de la poursuivre. Le «Front de la route de la révolution» rassemblant plusieurs groupes révolutionnaires a notamment organisé deux marches qui devaient converger vers la place Tahrir. «Nous aussi on veut fêter l'anniversaire de la révolution. Quelles sont les justifications politiques qui nous interdiraient de rejoindre la place Tahrir ?», soutient Ali Ghoneim, membre du Front de la route de la révolution. Il poursuit : «Nous manifestons contre tous ceux qui ont trahi la révolution, l'armée, les Frères musulmans, les feloul (nom donné aux sympathisants de l'ancien régime ndlr) et l'Intérieur.» Mais sur la place Mostapha Mahmoud, les jeunes révolutionnaires ne sont pas les seuls à demander la fin du régime militaire. Les partisans des Frères musulmans manifestent à leurs côtés, quatre doigts levés au ciel, un chiffre devenu l'emblème de la lutte menée par les partisans des Frères musulmans après l'évacuation sanglante des places Raba‘a Al Adawiya et Nahda. «Je ne soutiens pas la répression contre les Frères, car demain c'est nous qu'on enverra en prison, crie Ahmed Hafef, au milieu de la foule qui devient de plus en plus compacte. Je ne veux pas non plus que les médias me disent à longueur de journée pour quel président je dois voter.» Mais les manifestants ont à peine le temps de se mettre en ordre de marche que plusieurs salves retentissent. Sous une pluie de gaz lacrymogènes, ils s'engouffrent rapidement dans les rues adjacentes. Le dernier bilan du ministère de la Santé fait état d'au moins quatre décès. Funeste anniversaire.